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tère ; il allait dans les maisons abandonnées, et donnait la sépulture aux cadavres en dissolution, qui souvent s’y trouvaient depuis plusieurs jours. Partout on le bénissait, et comme pendant cette terrible épidémie il ne fut jamais malade, quelques gens crédules assurèrent que Dieu avait fait un nouveau miracle en sa faveur.

Déjà, depuis plusieurs années, don Juan ou le frère Ambroise habitait le cloître, et sa vie n’était qu’une suite non interrompue d’exercices de piété et de mortifications. Le souvenir de sa vie passée était toujours présent à sa mémoire, mais ses remords étaient déjà tempérés par la satisfaction de conscience que lui donnait son changement.

Un jour, après midi, au moment où la chaleur se fait sentir avec le plus de force, tous les frères du couvent goûtaient quelque repos, suivant l’usage. Le seul frère Ambroise travaillait dans le jardin, tête nue, au soleil ; c’était une des pénitences qu’il s’était imposées. Courbé sur sa bêche, il vit l’ombre d’un homme qui s’arrêtait auprès de lui. Il crut que c’était un des moines qui était descendu au jardin, et tout en continuant sa tâche, il le salua d’un Ave Maria. Mais on ne répondit pas. Surpris de voir cette ombre immobile, il leva les yeux et aperçut debout devant lui un grand jeune homme couvert d’un manteau qui tombait jusqu’à terre, et la figure à demi cachée par un chapeau ombragé d’une plume blanche et noire. Cet homme le contemplait en silence avec une expression de joie maligne et de profond mépris. Ils se regardèrent fixement tous les deux pendant quelques minutes. Enfin l’inconnu, avançant d’un pas et relevant son chapeau pour montrer ses traits, lui dit : Me reconnaissez-vous ?

Don Juan le considéra avec plus d’attention, mais ne le reconnut pas.

— Vous souvenez-vous du siége de Berg-op-Zoom ? demanda l’inconnu. Avez-vous oublié un soldat nommé Modesto ?…

Don Juan tressaillit. L’inconnu poursuivit froidement…

— Un soldat nommé Modesto, qui tua d’un coup d’arquebuse votre digne ami don Garcia, au lieu de vous qu’il visait ?… Modesto ! c’est moi. J’ai encore un autre nom, don Juan ; je me nomme don Pedro Ojeda, je suis le fils de don Alfonse Ojeda que vous avez