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LES ÂMES DU PURGATOIRE.

— Rien n’est plus à la mode pourtant, et je m’étonne que dans une maison comme la vôtre on n’en fasse pas beaucoup.

— Citrons à la Marana ?

— À la Marana, répéta don Juan en pesant sur chaque syllabe. Il est impossible que quelqu’une de vos religieuses ne sache pas la recette pour les faire. Demandez, je vous prie, à ces dames si elles ne connaissent pas ces confitures-là. Demain je repasserai.

Quelques minutes après, il n’était question dans tout le couvent que des citrons à la Marana. Les meilleures confiseuses n’en avaient jamais entendu parler. La sœur Agathe seule savait le procédé. Il fallait ajouter de l’eau de rose, des violettes, etc., à des citrons ordinaires. Elle se chargeait de tout. Don Juan, lorsqu’il revint, trouva un pot de citrons à la Marana ; c’était à la vérité un mélange abominable au goût, mais sous l’enveloppe du pot se trouvait un billet de la main de Teresa. C’étaient de nouvelles prières de renoncer à elle et de l’oublier. La pauvre fille cherchait à se tromper elle-même. La religion, la piété filiale et l’amour se disputaient le cœur de cette infortunée ; mais il était aisé de s’apercevoir que l’amour était le plus puissant. Don Juan envoya un de ses pages au couvent avec une caisse contenant des citrons qu’il voulait faire confire et qu’il recommandait particulièrement à la religieuse qui avait préparé les confitures achetées la veille. Au fond de la caisse était adroitement cachée une réponse aux lettres de Teresa. Il lui disait : « J’ai été bien malheureux. C’est une fatalité qui a conduit mon bras. Depuis cette nuit funeste je n’ai cessé de penser à toi. Je n’osais espérer que tu ne me haïrais pas. Enfin je t’ai retrouvée. Cesse de me parler des sermens que tu as prononcés. Avant de t’engager au pied des autels, tu m’appartenais. Tu n’as pu disposer de ton cœur qui était à moi. Je viens réclamer un bien que je préfère à la vie. Je périrai ou tu me seras rendue. Demain j’irai te demander au parloir. Je n’ai pas osé m’y présenter avant de t’avoir prévenue. J’ai craint que ton trouble ne nous trahît. Arme-toi de courage. Dis-moi si la tourière peut être gagnée. » Deux gouttes d’eau adroitement jetées sur le papier figuraient des larmes répandues en écrivant.

Quelques heures après, le jardinier du couvent lui apporta une réponse et lui fit offre de ses services. La tourière était incorrup-