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qu’il avait si long-temps joué. Modesto ne reparut plus. Toute l’armée fut persuadée qu’il était l’assassin de don Garcia, mais on se perdait en vaines conjectures sur les motifs qui l’avaient poussé à ce meurtre.

Don Juan regretta don Garcia plus qu’il n’aurait fait de son frère. Il se disait, l’insensé ! qu’il lui devait tout. C’était lui qui l’avait initié aux mystères de la vie, qui avait détaché de ses yeux l’écaille épaisse qui les couvrait. Qu’étais-je avant de le connaître ? se demandait-il, et son amour-propre lui disait qu’il était devenu un être supérieur aux autres hommes. Enfin tout le mal qu’en réalité lui avait fait la connaissance de cet athée, il le changeait en bien, et en était aussi reconnaissant qu’un disciple doit l’être à l’égard de son maître.

Les tristes impressions que lui laissa cette mort si soudaine demeurèrent assez long-temps dans son esprit pour l’obliger à changer pendant plusieurs mois son genre de vie. Mais peu à peu il revint à ses anciennes habitudes. Elles étaient maintenant trop enracinées en lui pour qu’un accident pût le changer. Il se remit à jouer, à boire, à courtiser les femmes et à se battre avec les maris. Tous les jours il avait de nouvelles aventures. Aujourd’hui le premier à un assaut, le lendemain escaladant un balcon, le matin ferraillant avec un mari, le soir buvant avec des courtisanes.

Au milieu de ces honteuses occupations, il apprit que son père venait de mourir : sa mère ne lui avait survécu que de quelques jours, en sorte qu’il reçut les deux nouvelles à la fois. Les hommes d’affaires, d’accord avec son propre goût, lui conseillaient de retourner en Espagne et de prendre possession du majorat et des grands biens dont il venait d’hériter. Il avait depuis long-temps obtenu sa grâce pour la mort de don Alonso d’Ojeda, le père de dona Fausta, et il regardait cette affaire comme entièrement terminée. D’ailleurs il avait envie de s’exercer sur un plus grand théâtre. Il pensait aux délices de Séville et aux nombreuses beautés qui n’attendaient sans doute que son arrivée pour se rendre à discrétion. Quittant donc la cuirasse, il partit pour l’Espagne. Il séjourna quelque temps à Madrid ; se fit remarquer dans une course de taureaux par la richesse de son costume et son adresse à piquer ; il y fit quelques conquêtes, mais il ne s’y arrêta pas long-