Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 3.djvu/412

Cette page a été validée par deux contributeurs.
408
REVUE DES DEUX MONDES.

loisir pour ses remords ! — En Flandres, en Flandres ! s’écria-t-il, jetons ces guenilles et montrons que l’étude ne nous a pas amollis. — De Salamanque à Bruxelles, il y a loin, reprit gravement don Garcia, et dans votre position vous ne pouvez partir trop tôt. Songez que si M. le corrégidor vous attrape, il vous sera bien difficile de faire une campagne autre part que sur les galères de Sa Majesté.

Don Juan, après s’être concerté quelques instans avec son ami, se dépouilla promptement de son habit d’étudiant. Il prit une veste de cuir brodé telle qu’en portaient alors les militaires, un grand chapeau rabattu, et n’oublia pas de garnir sa ceinture d’autant de doublons que don Garcia put la charger. Tous ces apprêts ne durèrent que quelques minutes. Il se mit en route, à pied, sortit de la ville sans être reconnu, et marcha toute la nuit et toute la matinée suivante jusqu’à ce que la chaleur du soleil l’obligeât à s’arrêter. À la première ville où il arriva, il acheta un cheval, et s’étant joint à une caravane de voyageurs, il parvint sans obstacle à Saragosse. Là il demeura quelques jours sous le nom de don Juan Carrazo. Don Garcia, qui avait quitté Salamanque le lendemain de son départ, et qui avait pris un autre chemin, le rejoignit à Saragosse. Ils n’y firent pas un long séjour. Après avoir accompli fort à la hâte leurs dévotions à Notre-Dame du Pilier, avoir lorgné quelques beautés aragonaises, et s’être pourvu chacun d’un bon domestique, ils se rendirent à Barcelonne où ils s’embarquèrent pour Civita Vecchia. La fatigue, le mal de mer, la nouveauté des sites, et la légèreté naturelle de don Juan, tout se réunissait pour qu’il oubliât vite les horribles scènes qu’il laissait derrière lui. Les plaisirs que les deux amis trouvèrent en Italie leur firent négliger pendant quelques mois le but principal de leur voyage ; mais l’argent commençant à leur manquer, ils se joignirent à un certain nombre de leurs compatriotes, braves comme eux et légers d’argent, et se mirent en route pour l’Allemagne.

Arrivés à Bruxelles, chacun s’enrôla dans la compagnie du capitaine qui lui plut. Les deux amis voulurent faire leurs premières armes dans celle du capitaine don Manuel de Gomare, d’abord parce qu’il était Andaloux, ensuite parce qu’il passait pour n’exiger de ses soldats que du courage, et des armes bien polies et en bon état.