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LES ÂMES DU PURGATOIRE.

de billet à ordre, tiré sur dona Fausta, à laquelle il enjoignait de se mettre à la disposition du porteur, absolument comme il eût écrit à son intendant de compter cent ducats à un de ses créanciers.

Don Juan riait toujours, et offrait à don Garcia de prendre sa revanche. Mais celui-ci refusa. Si vous avez un peu de courage, dit-il, prenez mon manteau, allez à la petite porte que bien vous connaissez. Vous ne trouverez que dona Fausta, puisque la Teresita ne vous attend pas. Suivez-la sans dire un mot ; une fois dans sa chambre, il se peut fort bien qu’elle éprouve un moment de surprise, qu’elle verse même une larme ou deux ; mais que cela ne vous arrête pas. Soyez sûr qu’elle n’osera pas crier. Montrez-lui alors ma lettre ; dites-lui que je suis un horrible scélérat, un monstre, tout ce que vous voudrez ; qu’elle a une vengeance facile et prompte ; et cette vengeance, soyez certain qu’elle la trouvera bien douce.

À chacune des paroles de don Garcia le diable entrait plus avant dans le cœur de don Juan, et lui démontrait que ce qu’il n’avait jusqu’à présent regardé que comme une plaisanterie sans but pouvait se terminer pour lui de la manière la plus agréable. Il cessa de rire, et le rouge du plaisir commença à lui monter au front.

— Si j’étais assuré, dit-il, que dona Fausta consentît à cet échange…

— Si elle consentait ! s’écria don Garcia. Quel blanc-bec êtes-vous, mon camarade, pour croire qu’une femme puisse hésiter entre un amant de six mois et un amant d’un jour ! Allez, vous me remercierez tous les deux demain, je n’en doute pas, et la seule récompense que je vous demande, c’est de me permettre de faire la cour à la Teresita pour me dédommager. — Puis, voyant que don Juan était plus qu’à moitié convaincu, il lui dit : — Décidez-vous, car pour moi je ne veux pas voir Fausta ce soir ; si vous n’en voulez pas, je donne ce billet au gros Fadrique, et c’est lui qui en aura l’aubaine.

— Ma foi ! arrive que pourra, s’écria don Juan, saisissant le billet, et pour se donner du courage, il avala d’un trait un grand verre de Montilla.

L’heure approchait. Don Juan, qu’un reste de conscience retenait encore, buvait coup sur coup pour s’étourdir. Enfin l’hor-