Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 3.djvu/40

Cette page a été validée par deux contributeurs.
36
REVUE DES DEUX MONDES.

tombèrent ainsi, et s’effacèrent à jamais les barrières géographiques au-dedans desquelles les peuples avaient été contraints de renfermer jusque-là leur activité industrielle, commerciale et politique. Ils prirent possession de l’espace ; ils cessèrent de puiser nécessairement, comme la plante, leur nourriture au lieu même où ils étaient nés ; comme l’animal, comme l’homme, ils purent, pour ainsi dire, se transporter, en tant que peuples, sur le globe entier.

Enfermée dans les limites de la conquête romaine, la civilisation antique avait eu, pour théâtre de son développement, les rivages de la Méditerranée ; mais un théâtre bien autrement vaste fut nécessaire à celui de la civilisation moderne. Les colonies européennes couvrirent le continent et les îles de l’Amérique ; sur le rivage occidental de l’Afrique d’autres colonies prirent pied, au milieu même de cette race noire dont le sang et les sueurs devaient inonder toutes ces conquêtes de l’Europe. Le Cap, Calcutta, Benarès, Bombey, Batavia, devinrent des capitales qui n’eurent plus rien à envier à Londres, à Paris, à Amsterdam ; sous des mains industrieuses, les déserts du Nouveau-Monde se couvrirent de riches moissons, de villes commerçantes et libres ; cent vingt millions d’Indous passèrent sous la domination de quelques milliers d’Anglais ; la terre de Van-Diemen semble aspirer à reproduire sous nos yeux ces prodiges des temps antiques, où l’on voyait de grands et puissans états sortir de l’association fortuite de quelques malfaiteurs. Les vaisseaux de l’Europe ne courent pas avec moins d’activité ni en moindre nombre sur les immenses abîmes de l’Océan, que ne le faisaient les galères anciennes sur les vagues moins terribles de la Méditerranée. La facilité et la fréquence des communications ont annullé les distances ; les points les plus éloignés du globe se sont trouvés en contact. Dans les grands centres du commerce, toutes les races, toutes les nations, toutes les contrées, incessamment en présence par l’organe de leurs représentans, participent déjà à un même mouvement de civilisation, obéissent à une même impulsion sociale ; et de quelque côté que vous tourniez les yeux, du milieu de la mer de Magellan, partout vous retrouvez la civilisation, ou en germe, ou déjà développée. On a déjà comme une vue anticipée de l’état futur de l’univers, lorsqu’au terme de son développement définitif, l’humanité, ayant achevé de prendre