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écouter ce bavard. Et tenez, pour vous prouver que je ne suis pas un méchant diable, faites-moi l’honneur de m’accompagner de ce pas à l’église de Saint-Pierre ; lorsque nous y aurons fait nos dévotions, je vous demanderai la permission de vous faire faire un mauvais dîner avec quelques camarades.

En parlant ainsi, il prenait le bras de don Juan, qui, honteux d’avoir été surpris à écouter l’étrange histoire de Périco, se hâta d’accepter l’offre de son nouvel ami, pour lui prouver le peu de cas qu’il faisait des médisances dont il était l’objet.

En entrant dans l’église de Saint-Pierre, don Juan et don Garcia s’agenouillèrent devant une chapelle autour de laquelle il y avait un grand concours de fidèles. Don Juan fit sa prière à voix basse ; et bien qu’il demeurât un temps convenable dans cette pieuse occupation, il trouva, lorsqu’il releva la tête, que son camarade paraissait encore plongé dans une extase dévote ; il remuait doucement les lèvres ; l’on eût dit qu’il n’était pas à la moitié de ses méditations. Un peu honteux d’avoir si tôt fini, il se mit à réciter tout bas les litanies qui lui revinrent en mémoire. Les litanies dépêchées, don Garcia ne bougeait pas davantage. Don Juan expédia encore avec distraction quelques menus suffrages ; puis, voyant son camarade toujours immobile, il crut pouvoir regarder un peu autour de lui pour passer le temps et attendre la fin de cette éternelle oraison. Trois femmes agenouillées sur des tapis de Turquie attirèrent son attention tout d’abord. L’une, à son âge, à ses lunettes, et à l’ampleur vénérable de ses coiffes, ne pouvait être autre qu’une duègne. Les deux autres étaient jeunes et jolies, et ne tenaient pas leurs yeux tellement baissés sur leurs chapelets qu’on ne put voir qu’ils étaient grands, vifs, et bien fendus. Don Juan éprouva beaucoup de plaisir à regarder l’une d’elles, plus de plaisir même qu’il n’aurait dû en avoir dans un saint lieu. Oubliant la prière de son camarade, il le tira par la manche et lui demanda tout bas quelle était cette demoiselle qui tenait un chapelet d’ambre jaune.

— C’est, répondit Garcia, nullement scandalisé de son interruption, c’est dona Teresa de Ojeda, et celle-ci, c’est dona Fausta, sa sœur aînée, toutes les deux filles d’un auditeur au conseil de Castille. Je suis amoureux de l’aînée ; tâchez de le devenir de la cadette.