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LES ÂMES DU PURGATOIRE.

illustre, et, dans la guerre contre les Morisques révoltés, il avait prouvé qu’il n’avait pas dégénéré du courage de ses aïeux. Après la soumission des Alpuxarres, il revint à Séville avec balafre sur le front et bon nombre d’enfans pris sur les infidèles qu’il fit baptiser avec soin, et qu’il vendit avantageusement dans des maisons chrétiennes. Ses blessures, qui ne le défiguraient point, ne l’empêchèrent pas de plaire à une demoiselle de bonne maison, qui lui donna la préférence sur un grand nombre de prétendans à sa main. De ce mariage naquirent d’abord plusieurs filles dont les unes se marièrent par la suite, et les autres entrèrent en religion. Don Carlos Marana se désespérait de n’avoir pas d’héritier de son nom, lorsque la naissance d’un fils vint le combler de joie, et lui fit espérer que son antique majorat ne passerait pas à une ligne collatérale.

Don Juan, ce fils tant désiré, et le héros de cette véridique histoire, fut gâté par son père et par sa mère, comme devait l’être l’unique héritier d’un grand nom et d’une grande fortune. Tout enfant il était maître à peu près absolu de ses actions, et dans le palais de son père personne n’aurait eu la hardiesse de le contrarier. Seulement, sa mère voulait qu’il fût dévot comme elle ; son père voulait que son fils fût brave comme lui. L’une, à force de caresses et de friandises, obligeait l’enfant à apprendre les litanies, les rosaires, enfin toutes les prières obligatoires et non obligatoires. Elle lui racontait la légende. D’un autre côté, son mari lui apprenait les romans du Cid et de Bernard de Carpio, lui contait la révolte des Morisques, et l’encourageait à s’exercer toute la journée à lancer le javelot, à tirer de l’arbalète ou même de l’arquebuse contre un mannequin vêtu en maure qu’il avait fait construire au bout de son jardin.

Il y avait dans l’oratoire de la comtesse de Marana un tableau dans le style dur et sec de Morales, qui représentait les tourmens du purgatoire. Tous les genres de supplices que l’imagination du peintre avait pu inventer s’y trouvaient représentés avec toute l’exactitude qu’aurait pu donner le tortionnaire de l’inquisition. Les âmes en purgatoire étaient dans une espèce de grande caverne au haut de laquelle on voyait un soupirail. Un ange, placé sur le bord du soupirail, tendait la main à une âme qui sortait du séjour de douleurs, tandis qu’à côté de lui un homme âgé tenant un cha-