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de chacun, ou du moins de distinguer deux de ces héros, savoir : don Juan Tenorio, qui, comme chacun sait, a été emporté par une statue de pierre, et don Juan de Marana dont la fin a été toute différente.

On conte de la même manière la vie de l’un et de l’autre ; le dénouement seul les distingue. Il y en a pour tous les goûts, comme dans les pièces de Ducis, qui finissent bien ou mal, suivant la sensibilité des personnes.

Quant à la vérité de cette histoire ou de ces deux histoires, elle est incontestable, et on offenserait grandement le patriotisme d’antichambre des Sévillans, si l’on révoquait en doute l’existence de ces garnemens qui ont rendu suspecte la généalogie de leurs plus nobles familles. On montre aux étrangers la maison de don Juan Tenorio, et tout homme ami des arts n’a pu passer à Séville sans visiter l’église de la Charité. Il y aura vu le tombeau du chevalier Marana avec cette inscription dictée par son humilité, ou si l’on veut son orgueil : Aqui yace el peor hombre que fue en el mundo. Le moyen de douter après cela ? Il est vrai qu’après vous avoir conduit à ces deux monumens, votre cicérone vous racontera comment don Juan (on ne sait lequel) fit des propositions étranges à la Giralda, cette figure de bronze qui surmonte la tour moresque de la cathédrale, et comment la Giralda les accepta ; — comment don Juan, se promenant, chaud de vin, sur la rive gauche du Guadalquivir, demanda du feu à un homme qui passait sur la rive droite en fumant un cigarre, et comment le bras du fumeur (qui n’était autre que le diable en personne) s’allongea tant et tant qu’il traversa le fleuve et vint présenter son cigarre à don Juan, qui alluma le sien sans sourciller et sans profiter de l’avertissement, tant il était endurci…

J’ai tâché de faire à chaque don Juan la part qui lui revient dans leur fonds commun de méchancetés et de crimes. Faute de meilleure méthode, je me suis appliqué à ne conter du don Juan Marana, mon héros, que des aventures qui n’appartinssent pas par droit de prescription à don Juan Tenorio, si connu parmi nous par les chefs-d’œuvre de Molière et de Mozart.


Le comte don Carlos Marana était l’un des seigneurs les plus riches et les plus considérés qu’il y eût à Séville. Sa naissance était