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sûr garant contre toutes les choses honteuses qu’on serait tenté de proposer ou de faire ; mais on a compté sur la fidélité de son amitié, sur son dévouement, et il faut bien le dire, sur sa paresse, pour le détourner de toutes ses grandes résolutions. Le maréchal a posé, comme avait fait Casimir Périer, certaines conditions de gouvernement, nous n’en doutons pas ; mais ce n’est pas tout que de faire ses conditions, il faut apporter, comme Périer, la volonté et l’énergie nécessaires pour les faire exécuter, et c’est là justement ce qui manque au maréchal Gérard.

Lord Melbourne, qui est arrivé de son côté, et contre notre attente, au poste de premier ministre, est un homme d’honneur et d’un noble caractère ainsi que le maréchal Gérard, et si celui-ci était réellement président du conseil et ministre dirigeant, il leur serait facile de s’entendre. Mais lord Melbourne, qui a un singulier trait de conformité avec le maréchal Gérard, nous voulons dire un penchant décidé à l’indolence et au repos, ne gouvernera peut-être pas plus l’Angleterre que le maréchal Gérard ne gouvernera la France. Il faut avoir vu, dans l’intimité, lord Melbourne étendant sans cesse les bras comme au sortir du sommeil, et s’interrompant à chaque mot par un demi-bâillement qui ferait honneur à un nabab, pour être bien convaincu que sous son ministère, c’est lord Brougham, l’homme le plus actif du royaume, qui sera l’âme et le bras du cabinet anglais. Lord Brougham, whig modéré, a cependant des intérêts communs avec la démocratie, ce que n’avait pas lord Grey, et il trouvera plus de facilité que le dernier ministre à faire passer certaines mesures désagréables au roi, si lord Melbourne, que sa naissance rattache de si près au souverain, se charge d’être son éditeur responsable.

La quadruple alliance, à peine naissante, a reçu un rude échec par le départ de don Carlos pour l’Espagne. On a beaucoup accusé M. Gisquet de négligence en cette affaire ; mais la police de M. de Talleyrand était seule en défaut dans cette circonstance. C’était à l’ambassadeur de France de prévenir son gouvernement que don Carlos avait quitté l’Angleterre, et non pas au préfet de police à Paris. M. de Talleyrand n’en était cependant pas à son apprentissage, et l’on devait croire qu’il avait appris depuis long-temps à garder les rois d’Espagne.

M. Pozzo di Borgo était mieux instruit, dit-on, et l’on assure, mais peut-être nous trompons-nous, que dans le petit nombre de visites rendues à Paris par don Carlos, l’ambassadeur de Russie a eu la sienne. Mais comme on ne pouvait arrêter un membre du corps diplomatique, dans la colère qu’on a éprouvée en haut lieu, on s’est vu forcé de se borner à l’arrestation de M. Jauge. M. Jauge était coupable, il est vrai, d’avoir ouvert publiquement un emprunt en faveur d’un gouvernement in-