Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 3.djvu/328

Cette page a été validée par deux contributeurs.
324
REVUE DES DEUX MONDES.

Où courez-vous, dites-le nous ?
Par le mistral, par la bonasse,
Votre frégate est déjà lasse,
Lasse sa rame de ramer,
Lasse sa trace d’écumer.
Comme une femme qui palpite,
Quand son amant la fait pleurer,
Son sein sous sa voile s’agite
Et dit : « Je veux me déchirer. »
Sur ce chemin qui vous emporte,
Il n’est point de banc pour s’asseoir ;
Point d’hôtelier près de sa porte.
Qui vous attende vers le soir.
Par notre rampe il faut descendre,
Vous coucher loin du gouvernail,
Sur le côté, sans plus attendre,
Dans nos lits d’algue et de corail.
La frégate, que porte-t-elle
Pour cargaison sous ses haubans ?
Que porte-t-elle dans ses flancs ?
Sous son poids la vague chancelle.
Tout-à-l’heure, par un sabord,
J’ai vu briller comme une étoile
Qui s’endormait dans la grand’voile,
Pour naviguer jusqu’à son port.
Sont-ce des pans de fine toile ?
Est-ce un collier de durs rubis ?
Sont-ce des vieux mâts de frégates ?
Des ananas ou des patates ?
Des peaux de tigre ou de brebis ?
Est-ce une belle esclave noire
Qui regarde, en pensant mourir,
Tout le jour sans manger, ni boire,
Si l’on voit son dattier fleurir,
Ou son champ de maïs mûrir,
Dans notre champ semé d’orages ?
— Dans mon vaisseau sans équipages,
Il n’est point de riches rubis.
De peaux de tigre ou de brebis,
Point de colliers et point de femmes ;