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Le premier, qui a sa racine dans les plus saintes et les plus imprescriptibles lois de la nature humaine, représenterait l’ordre parfait, s’il était possible de le réaliser pleinement sur la terre. Mais si cette perfection est maintenant interdite à l’homme, à cause de la maladie interne qui le travaille, elle n’en demeure pas moins le terme auquel il doit tendre, le but vers lequel il est de son devoir de se diriger incessamment. Car il en est des peuples comme des individus : ni les uns ni les autres ne seront jamais complètement délivrés durant la vie présente des infirmités qui en sont inséparables à un certain point ; mais les uns et les autres peuvent et doivent avancer perpétuellement dans la guérison, qui commence ici et s’achève ailleurs. D’où il suit que la société, progressive par sa nature, implique de continuels changemens, des révolutions successives. On s’effraie de ce mot de révolution, et l’on a raison de s’en effrayer, si l’on entend par là les désordres que produisent, au sein d’une nation où fermentent des idées et des espérances nouvelles, les intérêts et les passions vivement exaltés. Mais les révolutions qui marquent un pas fait dans la vraie civilisation, et ouvrent ainsi une ère plus heureuse, les révolutions nées du développement de la notion du droit dans les intelligences, ont certes, en résultat, un tout autre caractère, et doivent être, quelques souffrances qui les accompagnent, non pas redoutées, mais bénies comme des bienfaits de la Providence et des preuves éclatantes de l’action qu’elle exerce sur les destinées générales de l’humanité. Elles sont, pour ainsi parler, Dieu présent à nos yeux dans le monde : car évidemment ces transformations qui changent, en l’élevant, l’état du genre humain, ces soudaines brises qui le poussent, quoique à travers bien des écueils, vers de plus fortunés rivages, renferment quelque chose de divin. La plus profonde révolution que, sous tous les rapports, il ait en effet subie, fut, sans aucune comparaison, l’établissement du christianisme, et celle qui, depuis cinquante ans, s’opère en Europe, n’en est que la continuation. Qui ne voit pas cela est totalement incapable de rien voir, et plus incapable de rien comprendre aux événemens contemporains. Dix-huit siècles de labeur social ont à peine suffi pour les préparer. Car de quoi s’agit-il ? de modifier les formes du pouvoir, de réformer quelques abus, d’introduire dans les lois quelques améliorations générale-