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à donner une forme concise et claire aux prescriptions de la justice. Le Décalogue, le Pentateuque, surtout dans le Deutéronome, les douze tables, la compilation de Justinien, les codes modernes, les travaux de Frédéric, de Catherine, de Napoléon, de Bacon, de Bentham, manifestent cet effort continu de l’humanité.

La société qui a des codes peut chercher plus facilement la bonne administration de la justice. Pour appliquer la loi, comme pour la faire, toutes les précautions préalables doivent être prises ; ainsi l’indestructible distinction du fait et du droit doit précéder la décision même du droit ; le bon sens discerne le fait ; la science applique le droit. Le juge doit être un, responsable, souverain. Un sénat de jurisconsultes, dont nous avons en France une image qui s’affaiblit, examinera d’office toutes les décisions rendues ; il appréciera aussi les conséquences sociales des lois appliquées et transmettra des avis au législateur.

La société consciencieuse de sa supériorité morale sera toujours calme et charitable ; elle ne menacera jamais un de ses citoyens de sa vengeance ; elle ne suspendra la liberté d’un homme que durant le temps strictement nécessaire pour constater son innocence ou sa faute, préservant la justice de la contagion des irritations impures. Le châtiment ne sera dans ses mains qu’une forme de correction ; il sera temporaire. La religion chrétienne a surtout consolé le coupable par la pensée de l’immortalité : l’Église abhorre le sang, mais elle laisse le champ libre à la justice temporelle ; la philosophie moderne s’est occupée de la destinée terrestre de l’homme déchu et condamné ; elle a contesté la légitimité des peines irréparables ; elle a inventé des systèmes pénitentiaires pour corriger les délinquans et les coupables ; elle a conçu que la justice sociale devait être un mode de l’éducation.

La langue allemande a, pour désigner l’éducation, un mot d’une force particulière, die erziehüng : c’est la mise en dehors de la force humaine. La force humaine est centrale et spirituelle ; elle veut être provoquée à se produire ; l’éducation consiste dans cette provocation intelligente et volontaire ; elle est le triomphe et le développement de l’idée même, de la nature vivante ; elle abolit les influences et les supériorités d’antiquité et de race ; par elle l’homme ne relève que de lui-même, il s’élève ; l’éducation est une élévation.