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REVUE DES DEUX MONDES.

Ainsi s’élevait lentement à la vie dans une laborieuse obscurité cette Grèce qui devait briller si vite et qui devait tirer les idées de leur enveloppe, comme des fleurs de leur calice pour en montrer à l’humanité l’épanouissement radieux et complet. Elle aura tout cette Grèce ; elle vous défraiera de tous les sentimens, de toutes les idées et de toutes les fantaisies. Aimez-vous mieux la raison pratique que la spéculative ? Elle vous offre des hommes graves s’occupant de la société, qu’elle appelle sages parce qu’ils sont sensés et utiles, Bias, Périandre, Solon et Cléobule. Si les abstractions et les idées de l’intelligence vous émeuvent, suivez Pythagore, Parmenide, Anaxagoras, Platon et Aristote ; prosternez-vous devant Socrate, ce martyre de la raison qui pouvait dire au monde, comme le Prométhée d’Eschyle, ce Christ révolté du polythéisme :

Ἐσορᾷς μ’ ὡς ἔϰδιϰα πάσχω.[1]
Tu vois quelle injuste passion on me fait souffrir.

La religion recèle toutes les profondeurs de la tradition et de la pensée sous l’apparence de ses pompes si riantes et si ouvertes. L’éloquence n’est pas indigne d’ériger sa tribune près des flots de la mer. La poésie ravit aux modernes par Simonide la priorité de la tristesse et de la mélancolie ; elle fait les premiers chants de l’épopée de l’humanité ; elle élève l’ode à une hauteur qui depuis est demeurée inaccessible ; elle ouvre le théâtre comme une école de la vie dont les maîtres ont à peine trouvé quelques rivaux depuis deux mille ans. L’histoire ordonne à Thucydide d’égaler par sa gravité la gravité des choses humaines. Callimaque, Myron, les Polyclète et Phidias élèvent des temples qui abritent convenablement les dieux, et des statues qui divinisent les hommes. Quels sont donc ces Grecs ? Quel est ce peuple de Dieu ? Quelle est cette terre privilégiée ? Cette terre promise ? Pourquoi là plus qu’ailleurs tant de génie, de bonheur et de beauté ?

C’est, là, c’est là que je voudrais mourir.[2]
  1. Dernier vers du Prométhée.
  2. Béranger.