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opinion, affirme, bien des années après, qu’on ne saurait pénétrer dans la zone torride à cause de l’incendie qui règne perpétuellement dans le ciel de ces contrées. Quant à l’idée des antipodes, c’est-à-dire, au point de vue vulgaire, de gens vivant, comme on le disait bien des siècles après, la tête en bas et les pieds en haut, elle ne pouvait alors se présenter à l’imagination de personne. Et, encore une fois, la science s’était renfermée dans les mêmes limites que la conquête.

Dans cette pensée devait se trouver pour le Romain une source inépuisable de vives et poignantes émotions ! Voyez-le à la proue d’un rapide vaisseau emporté sur les eaux bleuâtres de la Méditerranée : aucun cap, aucun rivage, aucun rocher ne pouvait se montrer du sein des flots où les aigles de Rome n’eussent abordé victorieuses ; au-delà de cet horizon qui se déroulait à ses yeux, partout, en tout sens, à l’est, à l’ouest, au nord, au midi, c’était toujours Rome. Que lui importait de ne pas connaître le gisement ni l’apparence d’une terre, d’un rivage où le jetait peut-être le caprice des vents et des flots ? Cette terre ne lui en appartenait pas moins par le droit de la conquête ; ses ancêtres ne l’avaient pas moins foulée en vainqueurs ; leur gloire consacrée élevait sur son passage comme des arcs de triomphe sous lesquels il pouvait hardiment s’avancer. Notre imagination ose à peine se représenter ces souverains du monde, accablés que nous sommes de leur grandeur et de leur majesté.

Et pourtant de plus magnifiques conquêtes n’en étaient pas moins réservées à la civilisation moderne. La croix du Christ, symbole de cette civilisation née à ses pieds, devait aller plus loin encore que l’aigle de Romulus. Si la civilisation antique avait fleuri tout autour de la Méditerranée, il appartenait à notre Europe de régner sur cet Océan immense et terrible qui couvre la plus grande partie du monde, et auprès duquel la mer intérieure ne semble qu’un magnifique lac de plaisance.

Au moyen-âge, après que l’invasion des barbares eut mêlé, broyé, pétri ensemble races, peuples et nations, il se fit au sein de cette masse un grand travail intellectuel. Ce travail, consistant dans l’assimilation à un principe uniforme et dans le classement respectif des élémens divers mis en contact les uns avec les autres,