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v.

Le droit public proprement dit fut inauguré dans la science par Grotius. Son traité De la paix et de la guerre est un vaste assemblage de toutes les notions du droit sur toutes les matières, droit public, droit des gens, droit civil, droit pénal, droit canonique : rien n’est distingué, tout est confusément réuni. Hugues de Groot écrivit le premier sur ces matières ; il mit la main sur tout ; son œuvre fut grande, utile, et rendit possibles tous les développemens ultérieurs. Le devoir des successeurs immédiats de Grotius était de distinguer ce qu’il avait nécessairement mêlé ; Puffendorf au contraire embrouilla plus que jamais les choses ; esprit indigeste, faux, étroit, brut. Wolf noya le droit dans les généralités vagues et les maximes arbitraires. Kant fut profond, clair et nouveau ; il partit de la subjectivité abstraite, et n’arriva au droit public qu’après avoir traversé le droit réel et le droit personnel. Il est remarquable que Hegel a le même point de départ et le même aboutissement : sa philosophie du droit, plus favorable à l’histoire par son réalisme, diffère peu du droit naturel de Kant dans la méthode et les résultats purement spéculatifs.

Pascal a dit : « La justice et la vérité sont deux pointes si subtiles, que nos instrumens sont trop émoussés pour y toucher exactement. S’ils y arrivent, ils en écachent la pointe, et appuient tout autour, plus sur le faux que sur le vrai. » Cela est vrai, lorsqu’on s’attache exclusivement à l’étude de la notion abstraite. L’abstraction est une opération utile de l’esprit, à la condition de n’être qu’une méthode passagère ; mais si l’abstraction dure toujours, et ne se perd pas dans les objets concrets et vivans, l’esprit, par ses efforts, n’aboutit plus qu’à des résultats faux ou stériles.

Les dangers de l’engouement pour l’abstraction seront évités par l’étude de l’homme, mais de l’homme complet, corps et ame, le tempérament comme le caractère, les nerfs et le sang comme les idées et le génie. Cette étude de l’homme naturel et concret commence à prévaloir de nos jours sur les tourmentes inutiles de l’abstraction tournoyant sur elle-même.