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Il y a moins d’habitude et de métier chez le révérend M. Crabbe, éditeur des œuvres complètes de son père. Les faits s’entassent sans ordre sous sa plume prolixe : avec un peu plus d’art, quel délicieux ouvrage il aurait fait ! Quelle vie intéressante et triste que celle de ce ministre protestant, venant à Londres sans autre ressource que son talent ; long-temps apprenti chez un apothicaire ; n’ayant qu’un pauvre habit déchiré ; forcé de rester dans son grenier, et de descendre emprunter une aiguillée de soie noire à sa propriétaire pour raccommoder cet habit ; frappant à toutes les portes des grands seigneurs et repoussé par eux ; ayant confiance en Dieu et disant sa prière après avoir écrit ses beaux vers et mangé le seul morceau de pain de la journée ! Lorsque Burke, l’homme de génie déjà illustre, prend en pitié l’homme de génie inconnu, le présente à ses amis, le tire de la misère et lui procure une petite prébende, comme on l’aime, ce Burke ! Puis vient le récit de l’existence du ministre évangélique, cette existence toute rurale, toute provinciale, tout obscure, mais qui n’a rien de misanthropique, de chagrin, ni d’envieux. Crabbe est fort occupé dans son presbytère. Il analyse et décrit dans ses poèmes les matelots et les bourgeois qu’il prêche le dimanche et qu’il assiste au lit de mort : c’est une vie bien complète, bien une, bien d’ensemble ; et tous les matériaux, un peu confus, que nous offre M. Crabbe fils, sont admirablement caractéristiques.

Rogers (Samuel), ce poète si riche, ce banquier qui écrit de si agréables vers, s’occupe aujourd’hui d’une édition complète de ses œuvres ; les premiers peintres et les premiers graveurs de l’Angleterre doivent contribuer à l’embellir. Vous n’avez pas oublié cet admirable volume de l’Italie (Italy), l’un des chefs-d’œuvre de l’art moderne, avec les vignettes de Turner et ses monumens d’après Prout. Rogers veut que toutes ses œuvres soient imprimées avec le même luxe. Les dessins et les planches qui lui ont été apportés ne l’ayant pas satisfait, il a exigé que l’on recommençât tout le travail. Chaque volume lui coûtera cent soixante-quinze mille francs de votre monnaie.

Jamais nous ne manquerons de romans, et l’urgence des circonstances politiques n’a pas empêché que la presse anglaise ne nous donnât récemment cinq ou six œuvres de ce genre, qui sont fort dignes de remarque. Théodore Hook, l’éditeur responsable de John Bull (journal spirituellement et vigoureusement écrit), vient de reparaître avec son roman intitulé : Amour et Orgueil. Nos ridicules n’ont pas de meilleur peintre que Théodore Hook ; exclusifs, corinthiens, dandies, demi-dandies, quart de dandies, bourgeois singeant l’aristocratie, aristocrates se faisant populaires, affectations vaniteuses du West End et de la Cité, voilà ce que Théodore