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UN VAISSEAU À LA VOILE.

vaincre et mourir. » Le génie de Rome antique parlait une dernière fois par la bouche du vétéran.

Ses sinistres pressentimens n’étaient que trop fondés. Les vaisseaux d’Antoine, construits sur de gigantesques proportions, brillaient de toute la magnificence de l’Orient ; mais, dégarnis de rameurs et de marins expérimentés, ils ne pouvaient lutter avec succès contre ceux d’Auguste. Ceux-ci, de moindres dimensions, en étaient plus rapides et plus faciles à manœuvrer, avantages que ne pouvait contrebalancer le courage des vétérans d’Antoine. Aussi chacun des vaisseaux de ce dernier, pendant qu’il demeure presque immobile, est entouré de ceux d’Auguste, qui, autour de lui, décrivent mille cercles et voltigent rapidement en tous sens, l’inondant, l’accablant d’une grêle de traits, de flèches, de piques, de pieux enflammés, de pots de feu ; on dirait un corps d’archers assiégeant une citadelle. Les soldats de l’amant de Cléopâtre soutiennent bravement le choc ; loin que le cœur leur défaille, ils tiennent la victoire indécise en dépit du désavantage de leur position. Mais soixante vaisseaux égyptiens, sous les ordres de la reine, prenant tout à coup la fuite, s’éloignèrent à toutes voiles du lieu du combat. « Et Antoine, faisant manifestement voir, nous dit Plutarque, qu’il n’avait ni la prudence d’un général, ni le courage d’un homme, Antoine n’eut pas plus tôt vu la galère de l’Égyptienne s’éloigner, qu’oubliant tout et s’oubliant lui-même, que trahissant et abandonnant ceux qui combattaient et se faisaient tuer pour lui, il monta sur une galère à cinq rangs de rames, et suivit celle qui l’avait déjà ruiné et qui allait achever de le perdre. » Brave et joyeux compagnon pourtant, en faveur duquel s’élève, au fond du cœur, une pitié qui n’est pas dénuée de toute sympathie, quand nous le voyons, au milieu de ses amoureuses orgies, descendre au tombeau dans les bras de Cléopâtre, laissant le monde aux mains du froid, de l’impassible Octave.

De ce moment la marine prit un essor de plus en plus étendu. Les eaux de la Méditerranée furent incessamment sillonnées par d’innombrables galères. Des liens de commerce et des relations d’amitié ne tardèrent pas à s’établir entre les peuples les plus étrangers les uns aux autres, entre les rivages les plus éloignés. La facilité des communications s’accrut de jour en jour. Diodore, se