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promenades processionnelles le cierge à la main, et nombre d’actes passablement royalistes, avaient fait conférer cette dignité par Charles x. On le conjura donc de se montrer moins dur aux hommes de cette restauration, parmi lesquels il avait trouvé des amis zélés à des époques si différentes. Ainsi battu, le maréchal eut recours à son argument ordinaire, il offrit sa démission qui fut acceptée. Nous ne savons par quel détour il se la fit rendre ; mais ce qui est certain, c’est que pour la première fois, depuis qu’il existe un conseil et des ministres, un seul a ainsi tenu en échec tous les autres et l’a emporté sur eux, sans daigner leur donner une raison valable, et en fondant son opinion et ses exigences sur son bon plaisir. N’avions-nous pas raison de dire que nous devions nous voiler le visage en comparant ce qui se passe en France et ce qui a lieu en Angleterre ?

Ce n’est pas que, politiquement, la question personnelle nous touche. Nous rendons toute justice au caractère privé de M. Decazes, nous pensons même que ses talens administratifs et son esprit conciliateur eussent produit de bons résultats à Alger, mais une question plus importante s’élève dans cette affaire : celle de la domination du maréchal Soult, et de la tendance de cette domination. Cet homme qu’une vie reprochable en tous points, il faut avoir le courage de le dire, à force de servilités de tous genres, de reviremens inouis, de dévouemens déposés aux pieds de tant de gouvernemens, qu’une administration sur laquelle planent tant de bruits déplorables, qu’une ignorance si complète de l’état de l’Europe et de la France, qu’une absence totale de notions politiques, semblent devoir éloigner du ministère, y domine de tout son poids par on ne sait quelle puissante volonté, et par la lâcheté de ceux qui siègent avec lui au conseil, tout en faisant des efforts inouis pour l’éloigner. La présidence du maréchal Soult et sa suprématie ne peuvent s’expliquer que par un plan que nous avons signalé depuis long-temps, par l’espoir et le projet bien arrêté d’user en France le gouvernement représentatif, et d’y substituer un pouvoir militaire ; système imaginé d’abord par les historiens du ministère, qui voudraient nous faire passer successivement par le 15 vendémiaire, le 18 fructidor et le 18 brumaire, comme unique moyen d’échapper à un 10 août et à ses suites. Mais les auteurs de ce projet eux-mêmes paraissent déjà avoir reconnu qu’ils y périraient, ou qu’ils y joueraient un triste rôle ; c’est ce qui expliquerait l’opposition faite au maréchal Soult, dans cette circonstance, par MM. Thiers et Guizot. Cette opposition ira plus loin sans doute, car le motif qui l’a fait naître se reproduit dans presque toutes les questions, vu que le plat de l’épée du vieux maréchal commence à se faire sentir très rudement sur le dos de ses collègues. Si, comme nous le pensons, la poignée de cette épée est en d’autres mains