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POÉTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

réalité de la guerre que Sainte-Beuve a choisie comme sujet d’étude poétique.

Qu’est-ce à dire en effet ? Croyez-vous que l’amour pour le poète, pour l’artiste, pour le philosophe, pour le prêtre, pour l’homme qui pense et qui veut, pour l’homme enfin qui est vraiment un homme, se réduise au plaisir et à l’effémination des sens ? Croyez-vous que l’ivresse et l’oubli, l’exaltation et l’épuisement, l’entraînement et la prostration suffisent à réaliser l’amour tel que l’ont conçu, tel que l’ont éprouvé Pétrarque et saint Augustin, ces deux grands maîtres dans la science d’aimer ? Oh que non pas ! la tâche n’est pas si facile.

Loin de là, et pour peu qu’on ait vécu pour son compte ou qu’on ait seulement regardé vivre autour de soi, on ne tarde pas à le reconnaître, les plaisirs trop hâtés, le gaspillage des sens, les ivresses trop rapides et mal choisies, avilissent l’ame, l’épuisent et l’endorment ; et quand vient l’heure d’aimer sérieusement, quand il s’agit d’engager sur un nom le reste de ses années, ce n’est qu’à grand’peine que l’ame se réveille pour essayer cette vie nouvelle et glorieuse, cette vie d’épreuve et de dévouement. Le plus souvent le courage lui manque à moitié chemin. En vue du port qu’elle aperçoit, elle ralentit la manœuvre et se laisse démâter, elle retourne paresseusement aux vagues tumultueuses de ses plaisirs.

Sans doute il y a des voluptueux qui se purifient dans un amour sérieux ; sans doute il y a des ames qui, après s’être long-temps flétries dans le plaisir, se rajeunissent et se renouvellent dans le dévoûment et l’abnégation. Mais combien, au lieu de se transformer et de dépouiller le vieil homme, flétrissent à leur image l’ame qu’ils ont choisie, qui devait les régénérer, et qui devient leur proie !

C’est qu’en effet la métamorphose est laborieuse, c’est qu’au-delà de certaines limites elle est tout-à-fait impossible. C’est que la volupté, analysée dans ses intimes élémens, n’est qu’un monstrueux égoïsme, une perpétuelle immolation aux sens inapaisables ; c’est que le plaisir irrité à toute heure, impuissant à contenter sa colère, éteint une à une toutes les facultés généreuses de notre âme ; c’est qu’il supprime d’un coup les deux tiers de notre vie, l’avenir