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Oui, nous sommes heureux de le reconnaître, et ce bonheur est assez rare pour qu’on prenne la peine de le signaler, le roman de Sainte-Beuve ne dément pas une seule des espérances qu’il donnait il y a dix ans, à l’époque de ses débuts. C’est une conclusion logique et glorieuse dans la série des tentatives intellectuelles qu’il a courageusement abordées depuis 1824.

Aussi, pour bien comprendre et pour expliquer le sens intime de ce roman, il faut rappeler sommairement les travaux et les volontés de l’auteur. Envisagé de cette sorte, Volupté n’a plus rien d’obscur ni de mystérieux : c’est dans l’ordre humain et dans l’ordre littéraire une œuvre inévitable et prévue ; c’est, sous la forme du récit, l’expression plus familière et plus vive, plus abondante et plus accessible, des idées révélées déjà sous la forme dialectique et sous la forme lyrique. Détaché de l’unité à laquelle il se rapporte, ce livre court le danger d’être mal compris. Rapproché des prémisses dont il est le complément, il s’éclaire d’un jour lumineux et paisible.

Je répugne volontiers à publier ce que je sais des contemporains. Quand je posséderais toute la vie privée des hommes dont le nom est aujourd’hui célèbre, je me garderais bien de la révéler. Mais je crois qu’en de certaines circonstances l’homme importe à l’explication de l’artiste : et, par exemple, à moins de supposer à Sainte-Beuve un caractère spécial, choisi, exceptionnel, il est impossible de comprendre ses pélerinages et ses dévotions. Il y a en lui un mélange heureux d’enthousiasme et de curiosité qui se renouvellent à mesure qu’ils s’apaisent, et qui enrôlent son esprit et ses études au service de toutes les gloires naissantes ou méconnues. Ce n’est pas tout : cette singularité d’intelligence ne dénouerait qu’à demi le problème de ses travaux. Il est doué d’une abnégation bien rare en ce temps-ci. Quoiqu’il ait pratiqué bien des amitiés passagères et qu’il croyait durables, quoiqu’il ait foulé aux pieds bien des cendres qu’il ne prévoyait pas, il ne recule, Dieu merci, devant aucune ingratitude. Il ne perd pas son temps à supputer les oublis dont il a peuplé sa mémoire. Il dit la vérité pour le plaisir de la dire. Il popularise les noms dédaignés par l’ignorance ou la frivolité, sans trop se soucier du destin réservé à son dévouement. Le témoignage qu’il se rend à lui-même d’avoir bien fait, et cou-