Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 3.djvu/21

Cette page a été validée par deux contributeurs.
17
UN VAISSEAU À LA VOILE.

plus lourdes eussent entièrement cessé de l’être. Pour remédier à cet inconvénient, on imagina de mettre plusieurs rameurs sur les bancs de l’étage supérieur ; puis on arriva bientôt à ce principe général, qu’il fallait proportionner le nombre des bras à la longueur et au poids des rames à manœuvrer, ce qui permettait de se servir de rames beaucoup plus allongées qu’on ne l’avait fait jusqu’alors, et aussi d’augmenter le nombre des étages de rames jusque-là borné à trois. On vit bientôt des galères qui en eurent quatre, cinq, six, sept, et jusqu’à huit et même dix ; nouveaux navires dont la capacité intérieure, la rapidité de marche, le tirant d’eau, les proportions de toutes sortes, se trouvaient tout-à-fait supérieures à ce qui avait existé jusque-là. C’était une révolution nautique tout entière. On avait trouvé le moyen de multiplier presque à volonté, presque à l’infini, la force motrice du vaisseau jusque-là resserrée dans d’étroites limites. L’inventeur de cette nouvelle espèce de navires fut, suivant toute apparence, Denis le tyran ; ce fut lui, du moins, qui le premier fit sortir du port de Syracuse des galères où se trouvaient combinées pour la première fois sa propre découverte et celle du républicain de Corinthe. Ainsi se bâtit incessamment sous nos yeux ce grand vaisseau de l’état dont nous sommes à la fois les constructeurs et les passagers. Ouvriers animés de passions, de volontés, de désirs, d’idées diverses, aristocrates, peuples et rois y travaillent incessamment ; mais dirigés par une invisible main, tous ces efforts épars et confus n’en concourent pas moins à un but commun, n’en tendent pas moins de jour en jour à la réalisation d’un seul et même plan.

Carthage montre la première au monde le phénomène d’une puissance uniquement maritime. Elle n’est, à vrai dire, qu’une immense flotte amarrée au rivage de l’Afrique. À quelques pas d’elle est le désert ; autour de ses murailles roulent çà et là, dans toute leur indépendance native, des tribus qui ne parlent ni n’entendent sa langue ; le désert la presse de ses sables stériles qu’elle dédaigne de féconder. Et pourquoi se courberait-elle péniblement sur le sillon, cette reine orgueilleuse des mers ? Pourquoi se dévouerait-elle à recueillir les fruits et les moissons de la terre, à force de sueurs, de douloureux travaux ? Les rivages du monde entier ne sont-ils pas ses tributaires ? Parmi eux, n’est-ce pas à qui