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Marileïf, premier médecin du roi, homme très riche et d’un naturel peu belliqueux, se trouvait alors à Tours, venant de Soissons et se rendant à Poitiers, sa ville natale. Il avait avec lui très peu de gens et beaucoup de bagages ; et pour les jeunes guerriers, compagnons de Merowig, rien n’était plus facile que de l’enlever dans son hôtellerie. Ils y entrèrent en effet à l’improviste, et battirent cruellement le pacifique médecin, qui, heureusement pour lui, parvint à s’échapper, et se réfugia presque nu dans la cathédrale, laissant aux mains des assaillans son or, son argent et le reste de son bagage[1]. Tout cela fut regardé comme de bonne prise par le fils de Hilperik, qui, satisfait du tour qu’il venait de jouer à son père et se croyant assez vengé, voulut montrer de la clémence. Sur la prière de l’évêque, il fit annoncer au pauvre Marileïf, qui n’osait plus sortir de son asile, qu’il était libre de continuer sa route[2]. Mais au moment où Merowig s’applaudissait d’avoir pour compagnon de fortune et pour ami de cœur un homme aussi avisé que Gonthramn-Bose, celui-ci n’hésitait pas à vendre ses services à la mortelle ennemie du jeune homme inconsidéré qui plaçait en lui toute sa confiance.

Loin de partager la haine que le roi Hilperik vouait au duc Gonthramn, à cause du meurtre de Theodebert, Fredegonde lui savait gré de ce meurtre qui l’avait débarrassée d’un de ses beaux-fils, comme elle souhaitait de l’être des deux autres. Son intérêt en faveur du duc austrasien était devenu encore plus vif, depuis qu’elle entrevoyait la possibilité de le faire servir d’instrument pour la perte de Merowig. Gonthramn-Bose se chargeait peu volontiers d’une commission périlleuse ; mais le mauvais succès des tentatives du comte Leudaste, homme plus violent qu’adroit, détermina la reine à tourner les yeux vers celui qui pourrait, non pas exécuter de sa propre main, mais rendre infaillible par son astuce l’assassi-

  1. Redeunte Marileifo archiatro de præsentiâ régis, (eum) comprehendi præcepit : cæsumque gravissimè, ablato auro argentoque ejus, et reliquis rebus quas secum exhibebat, nudum reliquit. Et interfecisset utique, si non, inter manus cædentium elapsus, ecclesiam expetisset. Greg. Turon., hist. lib. v, pag. 240.
  2. Quem nos postea indutum vestimentis, obtentâ vitâ, Pictavum remisimus. ibid.