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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

nombre d’hommes bien équipés qui vinrent, sous ses ordres, se joindre aux troupes neustriennes, était dû à cette influence ; et du moment que les deux armées n’en firent plus qu’une, ce fut Desiderius qui en prit le commandement. Jugeant en homme de guerre et en politique l’idée mesquine d’aller surprendre une à une quatre villes séparées par des distances considérables, il substitua aux projets de Hilperik un plan de conquête de tout le pays compris entre la Loire, l’Océan, les Pyrénées et les Cevennes. Ce projet d’invasion territoriale n’admettant aucune distinction entre les villes qui dépendaient de l’Austrasie et celles qui appartenaient au royaume de Gonthramn, Desiderius n’épargna point ces dernières, et commença par s’emparer de Saintes qui lui ouvrait le chemin de Bordeaux[1].

À la nouvelle de cette agression qu’il n’avait nullement prévue, le roi Gonthramn sortit pour la seconde fois de son inaction habituelle ; il fit partir en grande hâte, avec des forces suffisantes, le célèbre Eonius Mummolus, patrice de Provence, qui avait alors dans toute la Gaule la réputation d’être invincible. Mummolus, s’avançant à grandes journées par la plaine d’Auvergne, entra sur le territoire de Limoges, et força Desiderius à abandonner la contrée de l’ouest pour se porter à sa rencontre[2]. Les deux armées, commandées par deux hommes de race gauloise, furent bientôt en présence ; il se livra entre elles une bataille rangée, une de ces batailles qu’on ne voyait plus en Gaule depuis que la tactique romaine avait fait place à la guerre d’escarmouche et de partisans, la seule que comprissent les barbares. La victoire fut vivement disputée ; mais elle resta, comme toujours, à Mummolus, qui contraignit son adversaire à la retraite, après un carnage effroyable. Les chroniques parlent de cinq mille hommes tués d’un côté et de vingt-quatre mille de l’autre. La chose est difficile à croire ; mais cette exagération montre à quel point fut frappée l’imagination des contempo-

  1. Usque Santonas transiit, eamque pervasit. Greg. Turon. Hist., lib. v, pag. 239.
  2. Mummolus verò patricius Guntchramni regis, cum magno exercitu usque Lemnovicinum transiit, et contra Desiderium, ducem Chilperici regis, bellum gessit. Ibid.