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pourrait s’étonner avec raison de l’insouciance que viennent de leur témoigner la plupart des collèges électoraux ; mais aujourd’hui l’opposition en est arrivée à ce point d’abandon de soi-même où l’on a besoin de se retremper par les fautes de ses adversaires. C’est au pouvoir maintenant à la remettre en honneur et en lumière, et l’on peut s’en fier au pouvoir de ce soin-là. Il est en bonne route, et il n’y manquera pas.

Aussi la partie sensée du ministère éprouve-t-elle plutôt de l’embarras que de la joie de la victoire qui vient d’être remportée, et tandis que M. Thiers, le grand faiseur électoral de 1834, s’applaudit de toutes ses forces, géantise et se gonfle du succès de ses circulaires, de ses flatteries, de ses menaces, de ses promesses, qui ne seront jamais tenues, et se fait fort de triompher des obstacles à venir par tous ces subterfuges de bas aloi qu’il a mis en œuvre auprès de la France électorale, M. Guizot gémit en secret de la situation où il se trouve, lui et ses collègues. De leur côté, mus par la même pensée, M. de Broglie et M. Royer-Collard, que leur situation ne force pas à étaler une satisfaction officielle, vont se plaignant tout haut à leurs amis de l’empressement inhabile avec lequel on use ce régime, qui en est déjà venu, après quatre ans d’existence, aux remèdes héroïques qui ont déterminé l’agonie de la restauration, à toutes les ruses, à toutes les honteuses manœuvres qui ont été vainement employées à prolonger l’existence de la dernière royauté. C’est que, pour de tels esprits, les majorités ne sont pas des signes infaillibles de durée, pas plus qu’une grosse fortune remise aux mains d’un dissipateur n’annonce qu’il échappera à sa ruine.

La pensée qui occupe uniquement la partie sérieuse du cabinet, celle qui ne consent pas à vivre au jour le jour et à esquiver une difficulté par une pirouette, c’est de ne pas gaspiller cette majorité qu’on vient de trouver si à propos, et dont le vote complaisant est plutôt un acte de charité qu’une marque de confiance. La fraction du cabinet que nous désignons sent confusément qu’il y a beaucoup d’exigences futures et prochaines sous tous ces suffrages ; elle voit que le pays a voulu en finir de la crainte et de la peur, de ce système d’anxiété et d’effroi à l’aide duquel on gouverne depuis trois années, qu’il a résolu cette fois de s’en débarrasser sans retour par une immense démonstration en faveur de ce pouvoir qui se montrait toujours tremblant pour la France et pour lui-même, et que, privé de ce grand levier, il faudra désormais au ministère un peu de sollicitude pour les intérêts généraux, un peu de franchise, un peu de capacité, de génie même, et peut-être aussi un peu de probité, si l’on veut rester en place. En conséquence ceux qui pensent ainsi ont résolu, dit-on, de se débarrasser de quelques-uns de leurs collègues.