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REVUE DES DEUX MONDES.

L’enfant se sauva. Nul ne sut ce qu’il devint.

À compter de ce jour, tout alla de mal en pis pour les habitans la chaumière. Les poissons du lac moururent, les récoltes cessèrent de germer ; la neige, qui ordinairement fondait aux plus grandes chaleurs de l’été, couvrit la terre comme un linceul éternel ; les voyageurs qui alimentaient la pauvre hôtellerie devinrent de plus en plus rares, parce que le chemin devint de plus en plus difficile. Kuntz fut forcé de vendre le dernier bien qui lui restait, cette petite cabane, devint le locataire de celui à qui il l’avait vendue, et vécut plusieurs années du prix de cette vente ; puis un jour il se trouva si dénué, qu’il ne put payer le loyer de ces misérables planches, que le vent et la neige avaient lentement disjointes, comme pour arriver jusqu’à la tête du parricide.

Un soir, c’était le 24 février, Kuntz rentra revenant de Louëche ; il s’était mis en route le matin pour aller supplier le propriétaire qui le poursuivait, de lui accorder du temps. Celui-ci l’avait renvoyé au bailli, et le bailli l’avait condamné à payer dans les vingt-quatre heures. Kuntz avait été chez ses amis riches ; il les avait priés, implorés, conjurés, au nom de tout ce qu’il y avait de sacré dans le monde, de sauver un homme du désespoir. Pas un ne lui avait tendu la main. Il rencontra un mendiant qui partagea son pain avec lui. Il rapporta ce pain à sa femme, le jeta sur la table, et lui dit : Mange le pain tout entier, femme ; j’ai dîné là-bas, moi.

Cependant il faisait un ouragan terrible, le vent rugissait autour de la maison comme un lion autour d’une étable ; la neige tombait toujours plus épaisse, comme si l’atmosphère allait finir par se condenser ; les corneilles et les hiboux, oiseaux de mort, que la destruction réjouit, se jouaient au milieu du désordre des élémens, comme les démons de la tempête, et venaient, attirés par la clarté de la lampe, frapper de l’extrémité de leurs lourdes ailes, les carreaux de la cabane où veillaient les deux époux, qui, assis en face l’un de l’autre, osaient à peine se regarder, et qui, lorsqu’ils se regardaient, détournaient aussitôt la vue, épouvantés des pensées qu’ils lisaient sur le front l’un de l’autre.

En ce moment un voyageur frappa. Les deux époux tressaillirent.