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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

chambre est admirablement faite, et puis le sujet principal de la toile, l’armoire sculptée, les porcelaines, les curiosités de toute sorte entassées dans ce cabinet bienheureux sont traitées avec une adresse merveilleuse. Évidemment M. Roqueplan devrait s’en tenir à ce genre de peinture, où il excelle, et ne pas tenter dans un genre plus périlleux un troisième échec, plus désastreux peut-être que celui de l’Espion et de Diane de Turgis.


Je voudrais pouvoir louer M. Eugène Isabey, car son talent m’a toujours inspiré une vive sympathie. Il y a dans l’éclat et la magie de son pinceau quelque chose de si éblouissant et de si riche que la raison a beaucoup à faire pour imposer silence à la curiosité. Il faut laisser au plaisir des yeux le temps de s’apaiser et de s’attiédir avant d’essayer sur une toile de M. Isabey l’analyse et la réflexion ; mais une fois l’heure venue, la critique ne peut sans injustice se montrer indulgente. Le Cabinet d’antiquités est le plus fastueux, le plus insensé gaspillage que M. Isabey ait jamais fait jusqu’ici. C’est la dépense la plus folle, la prodigalité la plus inexcusable que nous ayons à lui reprocher, à lui qui déjà si souvent a fait un monstrueux abus des belles qualités que nous lui connaissions. Ce qu’il a fallu de dons heureux et de science vraie pour atteindre au lazzi séduisant de cette année peut à peine se calculer. Les vases, les armures, les parchemins, les tapis, sont touchés avec une adresse merveilleuse ; mais où est la perspective de cette chambre, de quel côté sommes-nous ? Le fauteuil ne va-t-il pas tomber ? La chambre ne menace-t-elle pas de tourner sur elle-même ? Que signifie la titubance égarée de ces murs, de ces meubles et de ces livres ? Et puis cette couleur si séduisante est une couleur fausse. Il n’y a pas dans cette profusion de richesses une seule pièce frappée à l’effigie royale. Les murs sont d’agate, les livres sont en ivoire, en argent, mais ne sont à coup sûr ni de papier ni de parchemin ; le fauteuil est de cuivre ; tout cela est chatoyant, mais étrange ; tout cela est joli, mais n’est pas beau. C’est une déplorable dépravation, une licence effrénée, un libertinage de pinceau sans exemple jusqu’ici : c’est donc pour nous un devoir impérieux de blâmer hautement le scandale de cette peinture que le succès n’absout point. Nous arrivons trop tard peut-être, et nos