Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 2.djvu/732

Cette page a été validée par deux contributeurs.
726
REVUE DES DEUX MONDES.

dire, que secondaire. Ce qui met le comble au chagrin, c’est de trouver des torts sans excuse à ceux qu’on aime ; là il y a une excuse : « Ils ne savent ce qu’ils font ! » Ils nous ont déchiré le cœur, mais ils ne savaient ce qu’ils faisaient. Ils étaient aveuglés, leurs yeux étaient fermés ; vos propres souffrances sont le gage de leur ignorance. La pitié est dans le cœur de l’homme ; de grands torts viennent toujours d’un grand aveuglement. Comment croire qu’on puisse causer de sang-froid et volontairement ces chagrins déchirans qui font souffrir mille morts avant de mourir ? Comment croire qu’on voudrait briser un cœur qui, peut-être pendant des années entières, vous a chéri, adoré, excusé, qui avait fait de vous son idole ? Car telle est l’ingratitude, source des plus grands chagrins ; elle consiste à méconnaître les sentimens dont on est l’objet, parce que le cœur est incapable de les payer de retour et d’en produire de semblables : il y a là cette impuissance, cette ignorance qui font l’excuse. Donner l’affection à ceux qui ne la sentent pas, c’est vouloir donner la vue aux aveugles, l’ouïe aux sourds. Pardonnez-leur, mon Dieu, ils ne savent ce qu’ils font ; pardonnez-leur sans qu’ils aient à faire retour sur eux-mêmes, sans que ce pardon me soit compté pour une vertu, puisqu’il n’est qu’une justice ; mais ayez pitié de moi, et enseignez-moi à n’aimer que vous, et donnez-moi le repos ! Ainsi soit-il. »

Il n’y a rien à ajouter à de telles paroles. Mais ces différens degrés dans le pardon chrétien, ce premier degré où l’on pardonne pour être pardonné, c’est-à-dire par crainte ou par espoir, cet autre degré où l’on pardonne parce qu’on se reconnaît digne de souffrir, c’est-à-dire par humilité, celui enfin où l’on pardonne par égard au précepte de rendre le bien pour le mal, c’est-à-dire par obéissance, ces trois manières qui ne sont pas encore le pardon tout à fait supérieur et désintéressé, m’ont remis en mémoire ce qu’on lit dans l’un des pères du désert, traduit par Arnauld d’Andilly : « J’ai vu une fois, dit un saint abbé du Sinaï, trois solitaires qui avaient reçu ensemble une même injure et dont le premier s’était senti piqué et troublé, mais néanmoins, parce qu’il craignait la justice divine, s’était retenu dans le silence ; le second s’était réjoui pour soi du mauvais traitement qu’il avait reçu, parce qu’il en espérait être récompensé, mais s’en était affligé