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POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.
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gligence. Il est né naturel et achevé ; simple, rapide, réservé pourtant ; un style à la façon de Voltaire, mais chez une femme ; pas de manière, surtout dans Édouard ; un tact perpétuel, jamais de couleur équivoque et toutefois de la couleur déjà, au moins dans le choix des fonds et dans les accompagnemens ; enfin des contours très purs. En tout, des passions plus profondes que leur expression, et jamais d’emportement ni d’exubérance, non plus qu’en une conversation polie.

Pendant que Mme de Duras écrivait dans ses matinées ces gracieux romans où la qualité de l’écorce déguisait la sève amère, elle continuait de recevoir et de charmer le monde autour d’elle, malgré une santé de plus en plus altérée. Elle prenait même, on peut le soupçonner, une part assez active à la politique d’alors par ses amitiés et ses influences. Durant le congrès de Vérone, M. de Chateaubriand lui écrivait presque chaque jour ce qui s’y passait et les détails de ce grand jeu. Mais vers le même temps il se faisait en elle, tout au-dedans, un grand travail de soumission religieuse et de piété ; elle n’avait jamais été ce qu’on appelle dévote dans le courant de la vie ; elle arrivait aux sources élevées par réflexion, par refoulement solitaire, en vertu de toutes les puissances douloureuses qui l’oppressaient. Le jour où quelque personne intime, en 1824, la surprenait la plus vive contre les projets de M. de Villèle, tenant en main la brochure du comte Roy sur le 3 pour 0/0, s’en animant comme en connaissance de cause, et présageant par cette noble faculté d’indignation, qui était restée vierge au milieu du monde, la rupture inévitable de son éloquent ami, ce jour-là peut être, elle avait médité le matin sur l’une des réflexions chrétiennes qu’elle s’efforçait de mûrir. Elle avait gardé dans sa politique instinctive beaucoup du sang girondin, un élan généreux, dévoué, inutile, qui se brisait. Comme, à propos d’une de ces saillies de premier mouvement, un de ses amis lui faisait remarquer qu’elle avait bien droit d’être ainsi libérale, fille qu’elle était de M. de Kersaint : « Oh ! oui, mon pauvre père ! s’écria-t-elle, il aimait la liberté, il l’aimait comme il fallait ; il n’est pas allé trop loin dans la révolution, non, il a voulu défendre Louis xvi. » Elle distinguait soigneusement les idées libérales des idées révolutionnaires, ayant l’horreur des unes et le culte des autres. Ceci joint à l’habitude de se réprimer