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BELLA UNION.

À l’aspect de l’activité qui régnait de toutes parts et des travaux commencés et encore imparfaits, je me crus un instant transporté dans le Champ d’Asile, fondé aussi par des exilés malheureux comme ceux que j’avais sous les yeux. Personne n’était oisif dans la ville naissante ; on eût dit une ruche que vient de peupler un nouvel essaim. Les uns charriaient le bois, d’autres creusaient la terre et y plantaient des pieux. Le faîte des maisons presque achevées était couvert d’Indiens tressant la paille ou les feuilles de palmiers destinées à leur servir d’abri contre l’intempérie des saisons. Tout se faisait en même temps et partout. On travaillait surtout en grande hâte à la construction d’une église. La semaine sainte approchait, et les Guaranis se faisaient un point d’honneur de la célébrer dans le nouveau temple. Les femmes et les enfans munis de vases de toute espèce faisaient une procession continuelle de la rivière à l’église pour fournir de l’eau aux travailleurs. En attendant, une maison appartenant à l’un des chefs de l’armée servait provisoirement au culte. J’y fus introduit en arrivant. Elle était à moitié remplie de balles de coton. Plusieurs coffres contenaient les ornemens d’église, que le maître du logis se plut à me faire admirer en détail. Sur l’un de ces coffres on avait dressé un autel auquel plusieurs balles de coton servaient de degrés. Cependant sur cet autel modeste était placé un missel qui n’aurait pas déparé celui de nos plus magnifiques cathédrales. Bientôt une nombreuse affluence remplit la salle. C’étaient des chantres qui venaient répéter l’office de la semaine sainte. Ils entonnèrent le Stabat Mater. Chacun des chanteurs, son cahier à la main, faisait sa partie avec méthode, tandis que le maître de chapelle, monté sur une malle et la tête couronnée d’un bonnet de coton, marquait la mesure avec toute la dignité d’un chef d’orchestre de l’Opéra. Mais de ce groupe si singulièrement accoutré s’échappaient des sons mélodieux qui ne permettaient guère de voir le côté ridicule de la scène. L’ame était véritablement émue.

On connaît le goût qu’ont pour la musique presque tous les indigènes de l’Amérique. Les premiers missionnaires, principalement les jésuites, s’en servirent souvent pour toucher les cœurs des peuplades errantes qu’ils voulaient civiliser, et plus d’un village s’est élevé au bruit des chants et des instrumens religieux. Ce que la fable nous raconte de la lyre d’Amphion et des murs de Thèbes s’est réalisé cent fois dans les déserts du Nouveau-Monde. Le sens musical me parut très développé chez les Guaranis. J’en eus une seconde preuve le soir même de mon arrivée. Nous étions campés en plein air, sur le milieu de la place. Un de nous ayant commencé à jouer quelques airs de clarinette, une douzaine d’Indiens accoururent avec leurs instrumens pour l’accompagner. Il leur suffisait