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pauvres compositions, mais seraient des chefs-d’œuvre auprès des deux toiles de cette année. L’héroïque maîtresse d’Holopherne travestie en soubrette d’opéra comique, le peintre de l’École d’Athènes et l’auteur du Jugement dernier, cloués sur une toile pour prononcer, sans se voir, des paroles qu’ils n’ont peut-être jamais dites, étaient des prodiges d’invention, si on les compare aux deux caricatures que M. Horace Vernet a signées de son nom cette année. S’il n’a rapporté de son voyage d’Alger que des études pareilles à ses Arabes écoutant un conte, c’est une grande pitié que son voyage. Louis-Philippe rentrant au Palais-Royal le 30 juillet 1830 est fort au-dessous du Camille Desmoulins, auquel pourtant je ne trouvais rien à comparer. Ainsi rien n’aura manqué aux profanations de ce talent vulgaire et déplorablement fécond. Après avoir hissé son nom jusqu’à la popularité, à l’aide de quelques batailles qui ne valent guère mieux que les couplets guerriers de nos boulevarts, il s’en est pris hardiment au prologue et à l’épilogue de la tragédie jouée par la France entière depuis quarante ans. Il a fait avec les prédications démocratiques de Camille Desmoulins, avec les barricades poudreuses du peuple de Paris, deux vulgarités qui ne pourraient servir de tenture à une auberge de village. Espérons que ses ouvrages de cette année seront les derniers de la liste. Espérons qu’il fera retraite, ou du moins qu’il ne touchera plus à l’histoire, et qu’il multipliera pour les admirations empressées de la bourgeoisie des compositions inoffensives telles que le Chien du régiment ou le Cheval du trompette.


M. Gudin promet d’aller rejoindre bientôt dans un oubli équitable l’auteur de Judith. Je ne sais quel nom donner à sa Fête du Lido. Les vagues de l’Adriatique semblent illuminées par des verres de couleur ; le quai de Venise chancelle comme un homme aviné. Je ne parle pas des figures placées sur les barques. Nous sommes habitués depuis long-temps à ne pas exiger de M. Gudin un dessin pur et correct ; mais le ciel est lourd, brumeux et terne. Au reste, il se fait peu de bruit aujourd’hui autour des toiles de M. Gudin. Quelques ames dévotes en qui prévaut encore la religion du passé continuent de répéter presque involontairement que M. Gudin est un grand peintre, et personne ne se donne la peine de