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REVUE DES DEUX MONDES.

« Descends dans la ville de Pempol, va droit rue de l’Église, et tâche de fléchir celle qui m’allanguit. Ne néglige rien pour gagner son esprit et rendre la joie à mon cœur.

« Poursuis-la, immortel ; dis-lui qu’elle a à Kerity un esclave fidèle, dis-lui que je meurs s’il faut rester dans cet état cruel !

« Porte-lui ma demande, fais-lui mes complimens, enveloppe-la dans tes paroles caressantes et arrache-lui une lettre écrite à l’avantage de mon amour, par la main qui me fait mourir.

« Mais si elle persévère dans son indifférence, conduis-moi Lachésis, Atropos et Clotho, conduis-moi la mort elle-même armée de sa faulx, — la mort qui sait endormir les douleurs.

« Puis à elle, ô mon Dieu ! demande-lui un linceul cousu de sa main, une châsse et une fosse. — Si elle n’a point aimé ma vie, peut-être au moins trouvera-t-elle quelque plaisir à donner la sépulture à mon cadavre !

« Mais dis-lui aussi qu’elle a, si elle le veut, le pouvoir de commander à la mort. — Qu’elle m’appelle, et je me lèverai de ma tombe à sa voix. — Je me lèverai pour l’admirer ! — glorieux et ressuscité comme un autre Lazare. »

N’est-ce pas là une page de Desportes ou de Ronsard avec l’harmonie des vers de moins ? Ne semble-t-il pas lire une élégie de la renaissance, avec sa douceur caressante et son pédantisme naïf ? — Ne sentez-vous point là-dedans l’amoureux qui a fait sa rhétorique et qui est resté poète en dépit de l’art poétique de Boileau et des odes de J.-B. Rousseau ? — Cela est beau autant par ses défauts que par ses qualités, beau parce que c’est vrai, parce que cela raconte bien une ame de vingt ans, dans toute la sincérité de sa poésie et de ses ridicules.

Ailleurs, en parlant du prêtre breton, nous avons dit ce que devenaient toutes ces éruptions poétiques des jeunes cloarecs, nous avons peint ces recteurs allant, de nuit, et par la tempête, porter les sacremens aux mourans, à travers les fondrières et les marais débordés. Pour qui aura bien compris ce que nous venons de dire des premières années du clerc breton, ce rude dévouement paraîtra sans doute plus explicable. Et que feraient-ils, en effet, ces jeunes gens à cœurs froissés, une fois cousus dans la soutane noire, s’ils ne se livraient avec ferveur et enthousiasme à leur