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plainte s’élancera de notre cœur pleine d’éloquence et de vérité, et nous deviendrons poètes, comme les mères deviennent chanteuses pour bercer des douleurs dans leurs chants !

Or, ce que nous venons de dire, c’est l’histoire du cloarec. Il ne faut point chercher ailleurs ses dispositions élégiaques et son aptitude pour la poésie. Ce qui précède explique aussi comment le pays de Tréguier, qui recevait dans ses colléges la jeunesse la plus impressionnable et la moins grossière des campagnes de l’Armorique, a pu devenir la source de presque toute la littérature moderne de la Bretagne et former l’école trégorroise, si distincte de toutes les autres, et si remarquable à tous égards.

Cette école reflète la vie du cloarec tout entière ; c’est la confession de ses faiblesses humaines, de ses chagrins de cœur, des oublis de femme qui l’ont torturé ; c’est un éternel mémoire auquel chaque abbé ajoute sa page avant de rompre avec le monde. L’expression de cette douleur conserve le plus souvent une simplicité charmante et presque enfantine ; mais quelquefois aussi, elle revêt tout l’éclat d’une poésie figurée :

« Comme j’étais dans mon jardin, le cœur nageant dans la joie, je remarquai une fleur qui était élevée et brillante, ses feuilles étincelaient comme le soleil lorsqu’il pose ses pieds au bord de l’horizon[1].

« Et cette fleur-là était une fleur de mélancolie ; elle entra dans mon cœur, et depuis il est malaisé de l’en arracher. — Sa vue seule m’a rendu languissant.
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« Je suis un jeune cloarec qui n’a pas encore l’âge d’un homme et qui poursuit ses études. — Et j’aurai cette année bien de la mélancolie, et j’aurai cette année un cœur brisé dans ma poitrine ; car celle que j’aimais ne m’aime pas.

« Quand viendra la nouvelle saison, on verra fleurir les haies d’aubépines blanches, et les cœurs des jeunes gens fleuriront aussi. — Les belles fleurs se réjouiront dans les jardins, et les cœurs des jeunes gens se réjouiront de même dans le monde.

  1. Cette chanson, imprimée à Quimper chez Blot, mais qui n’appartient pas à la Cornouaille, ne contient pas moins de 80 vers.