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LE PAYS DE TRÉGUIER.

nais et la Cornouaille. On a pu voir, dans ce que nous avons dit, que la foi elle-même y était affaiblie ; les superstitions seules, ces premières et dernières fleurs que pousse une religion, ont survécu jusqu’à présent à tous les changemens. Elles sont, en grande partie, les mêmes que dans le reste de la Bretagne, et nous les avons indiquées ailleurs. Cependant il en est quelques-unes de particulières aux Trégorrois : tel est l’usage religieux suivi par eux, lorsqu’ils recherchent le corps d’un noyé. Dans ce cas, toute la famille s’assemble en deuil ; un pain noir est apporté ; on y fixe un cierge allumé et on l’abandonne aux vagues. Le doigt de Dieu conduira le pain au lieu même où gît le cadavre du mort, et sa famille, ainsi avertie, pourra l’ensevelir dans une terre sainte. Une autre superstition se rattache à la fontaine de Saint-Michel. Quiconque a eu à souffrir d’un vol n’a qu’à s’y rendre à jeun le lundi, et à jeter dans l’eau des morceaux de pain d’égale grandeur, en nommant successivement les personnes qu’il soupçonne. Lorsqu’un des morceaux va au fond, le nom qui a été prononcé en le jetant est celui du voleur que l’on recherche. Cette dernière croyance est évidemment un vestige du culte pour les élémens qui formait la base du druidisme. Du reste, les traces de celui-ci sont encore profondément empreintes partout en Bretagne. Il est aisé de voir que le catholicisme, afin de s’établir plus facilement parmi les Celtes, s’est enté sur l’ancienne foi, comme si l’on eût craint, en l’isolant en bouture, qu’il ne prît point racine assez sûrement.

Les premiers apôtres de l’Armorique, pour rendre la conversion plus contagieuse, conservèrent sans doute une partie des rites populaires, en leur donnant seulement un nouveau patronage et une autre intention. La foule, qui ne s’attache qu’au dehors et se laisse prendre par les sens, changea plus aisément de croyances qu’elle n’eût fait d’habitudes, et on lui baptisa ses idoles pour qu’elle pût continuer à les adorer. Ce fut ainsi que ne pouvant dessacrer les menhirs, on les fit chrétiens en les surmontant d’une croix, ainsi que l’on substitua les feux de saint Jean à ceux qui s’allumaient en l’honneur du soleil. Mais le peuple alla plus loin : ses passions lui étaient restées, et bien que la nouvelle foi, toute de pureté et d’amour, ne lui offrît aucun patronage, il voulut