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LE PAYS DE TRÉGUIER.

de ses services ; une vieille femme vint lui ouvrir et cria en le voyant :

— Jésus, mon joli garçon, que venez-vous faire ici ? Voulez-vous aussi, par hasard, épouser la jeune princesse ? Hélas ! croyez-moi, il faut se garder de cueillir les aubépines dans les haies, car il y a toujours dessous des ronces qui déchirent.

Mais Moustache ne comprenait pas ce que la vieille voulait dire. Alors elle lui apprit que le manoir était hanté, et que le prince qui l’habitait avait promis en mariage, à celui qui chasserait les démons, sa fille, qui était belle comme les étoiles, et qui s’appelait haie d’épine (gars-spern). Dès que Moustache eut entendu cette histoire, il dit qu’il voulait tenter l’aventure. Alors la vieille le conduisit dans une grande chambre du château, toute tapissée de rouge. Dans cette chambre, il y avait un grand lit, et sous ce lit étaient rangées les chaussures de tous ceux qui avaient péri pour délivrer le manoir. Il y avait là de riches bottines de gentilshommes, des souliers ferrés de bourgeois, et des sabots de manans.

— Demain vos galoches seront là, jeune homme, dit la vieille. Mais Moustache se prit à rire. Il ne s’effraya de rien et attendit la nuit.

Quand la nuit fut venue, il se coucha dans le grand lit. Mais, vers minuit, un grand bruit se fit entendre, et il tomba par la cheminée une longue file de diables qui se tenaient par la main. Ils se mirent aussitôt à courir par la chambre. L’un d’eux porta une table au milieu, un autre plaça dessus des chandelles qu’il alluma rien qu’en les touchant du bout de la queue, puis ils vinrent tous autour du lit de Moustache, et ils crièrent tous ensemble :

— Allons, lève-toi, chrétien, et viens jouer ton âme contre chacun de nous !

Moustache se leva sans rien dire. Il chercha dans son bissac, et il y trouva les cartes que Jésus-Christ lui avait promises. Il commença à jouer avec les démons. Il gagna la première partie ; alors il prit par les cornes le diable qui avait perdu, et il le fourra dans son sac. Un autre diable vint et il eut le même sort, puis un troisième, puis tous, les uns après les autres. Quand Moustache les eut bien ficelés dans son sac, il se recoucha et attendit le jour. Dès