Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 2.djvu/642

Cette page a été validée par deux contributeurs.
636
REVUE DES DEUX MONDES.

gentilshommes ne parlant que breton, et qui se rendaient aux tenues d’états de Rennes en habit de paysan, en sabots, et l’épée au côté.

Du reste, maintenant comme autrefois, toute aristocratie de naissance y est subordonnée à l’aristocratie de l’étole ; car là, comme dans tout le reste de notre pieuse Armorique, le respect accordé au prêtre participe de l’adoration. La tonsure est une couronne qui donne droit à de royaux hommages. Tout autre caractère s’efface devant la consécration qui a appelé un homme à charge d’ames. Le jeune paysan qui revient à la ferme de son père le front rasé et blême, portant à la main son missel latin, y apparaît comme un être au-dessus de l’humanité. Les cris de la nature se taisent en sa présence pour faire place à une craintive vénération. Son père découvre, devant lui, sa tête blanche, et l’appelle monsieur le prêtre. Il s’assied seul à la table préparée par sa mère, où brille un luxe inusité ; ses frères et ses sœurs le servent debout sans partager son repas. Mais ces honneurs, il faut qu’il les achète ! Ne croyez pas qu’il retrouve au foyer natal rien de ce qui pourrait lui rappeler son enfance, — ni le bruit monotone du rouet, ni les chants de la fileuse, ni les agaceries de ses jeunes sœurs ; à son aspect, la vie de famille a cessé, la maison est devenue un sanctuaire. Triste et froid en apparence, il faut qu’il reçoive avec calme les marques de respect dont on l’entoure, qu’il refoule dans son cœur les souvenirs, dans ses yeux les larmes, qu’il songe que ses mains sont jointes maintenant par une prière éternelle, et ne peuvent plus s’étendre vers les embrassemens ; que toutes les affections ont dû tomber de son ame le même jour que ses longs cheveux de jeune homme sont tombés de sa tête tonsurée, et que les bras de sa mère elle-même se sont fermés pour lui, comme pour un enfant mort ! Bientôt, quand il quittera la famille qu’il est venu visiter, la même gêne cérémonieuse présidera aux adieux, et si, le cœur plein, il veut tendre les bras vers ces parens qu’il abandonne, il verra les fronts s’abaisser comme pour recevoir une bénédiction, et nulle main ne s’avancera pour saisir la sienne !

Voilà une des causes de l’immense autorité du prêtre dans nos campagnes. Cet isolement royal dans lequel il se tient est un prestige qui agit sur tous. Sa puissance est d’autant plus incontestable