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quant la différence des deux peintures dans une même toile, comme j’expliquais tout-à-l’heure le défaut d’unité dans la Bataille de Nancy ; très probablement les figures ont été ajoutées long-temps après l’achèvement de l’architecture et c’est pourquoi elles ressemblent à un placage inutile.

Une Rue de Méquinez se distingue par une lumière éblouissante et diaphane, les figures sont naturellement et simplement posées. C’est une bonne étude ; avec très peu de chose, ce serait un bon tableau.

Le portrait de Rabelais ne doit pas compter parmi les meilleurs ouvrages de M. Delacroix : le ton général en est riche et nourri ; mais le dessin manque de précision et de pureté, il y a très loin du Rabelais au Justinien.

J’avais besoin de parler de tous ces ouvrages avec une sévérité désintéressée pour arriver avec un plaisir plus entier, avec une sécurité plus complète, à louer, selon ma conscience, les Femmes d’Alger. Ce morceau capital, qui n’intéresse que par la peinture et n’a rien à faire avec la niaiserie littéraire des badauds ou la sentimentalité des femmes frivoles, marque dans la vie intellectuelle de M. Delacroix un moment grave. Voici dix ans bientôt qu’il cherche d’année en année le rajeunissement et la régénération de la peinture telle qu’il la conçoit. Dante, le Massacre de Scio, Sardanapale, la Liberté, ont signalé, avec des chances bien diverses de gloire et de succès, les tentatives laborieuses de sa pensée. Si j’en excepte le premier et le dernier des ouvrages que je viens de nommer, pas un ne me semble avoir réalisé aussi docilement que les Femmes d’Alger les desseins et la volonté de M. Delacroix.

Les figures et le fond de ce tableau sont d’une richesse et d’une harmonie prodigieuses. La couleur est partout éclatante et pure, mais nulle part crue et heurtée. Les attitudes sont pleines de mollesse et de nonchalance ; les têtes sont fines et délicates. J’admire surtout celle de la femme placée à gauche dans une pénombre mystérieuse ; les vêtemens sont bien ajustés. Je sais bon gré à l’auteur de nous avoir épargné les ongles noirs des femmes du pays : c’est un trait d’exactitude dont la peinture peut très bien se passer. Je regrette que la seconde figure, en allant de gauche à droite, ait le bras droit trop court et le bras gauche trop long : c’est une