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but qu’il atteindra malgré lui. Les esprits fins et retors qui le composent penchent de leur nature pour la déception. Tant que le ministère pourra se jouer des masses, effrayer la chambre, faire miroiter aux yeux effarés des électeurs et de la garde nationale la menace d’une troisième restauration et l’épouvantail de la république, il se tiendra dans les bornes d’une apparente légalité, modifiée par toutes les ordonnances ou les fragmens d’ordonnances, par les lois, les décrets et les sénatus-consultes des anciens rois, de la république conventionnelle, directoriale et consulaire, et de la restauration. Tant que la pesanteur des impôts et des charges qui s’accroissent chaque jour, fera naître des troubles dans le pays, et tant que ces troubles feront voler d’enthousiasme les budgets et de nouveaux accroissemens d’impôts, la conduite du ministère se trouvera toute tracée. Les excès du pouvoir assurant sa durée et augmentant sa force, son rôle sera bien facile. Mais un temps viendra, et peut-être ce temps n’est-il pas si éloigné qu’on le pense, où le pays s’éclairera et s’étonnera d’avoir été si facilement trompé ; il comprendra alors qu’un gouvernement de bonne foi n’a pas besoin, pour être fort, de se faire persécuteur, de souffler la haine des partis, de vivre à la faveur des discordes publiques ; que la sécurité d’une nation et son bien-être se fondent sur autre chose que sur le monopole, que les intérêts se défendent bien mieux encore par de sages concessions que par une forêt de quatre cent mille baïonnettes, et alors aussi il se souviendra peut-être des promesses qui lui ont été faites et dont on ne lui parle aujourd’hui qu’avec une amère dérision. Ce jour-là, si la peur ne s’empare pas trop fortement du ministère, il en viendra certainement aux ressources qu’il tient en réserve. Dans les paroles que plusieurs de ses membres et de ses adhérens ont prononcées pendant le cours de la dernière législature, on trouverait de quoi lui prouver de reste qu’il nous garde un 18 fructidor, si ce n’est un 18 brumaire, et qu’il est assez aveugle pour croire que le pays tient tant à le conserver, qu’il lui sacrifierait ses institutions. Malheureusement les élections prochaines seront sans doute de nature à confirmer le ministère dans ses idées, et à l’entraîner dans cette voie.

Pour mieux se consolider, le ministère s’occupe d’en finir avec M. Dupin, homme entiché de certaines idées légales qui ne conviennent plus au pouvoir. D’ailleurs, M. Dupin représente le tiers-parti qui a la prétention de remplacer au château le parti tout-puissant des doctrinaires. Le mot a donc été donné à tous les amis des centres qui ont l’espoir de reparaître dans la chambre prochaine. On leur a fait entendre que Dupin était trop despote, trop livré à ses caprices ; on leur a rappelé qu’il avait combattu vivement le ministère dans deux ou trois questions ; enfin on leur a fait