Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 2.djvu/600

Cette page a été validée par deux contributeurs.
594
REVUE DES DEUX MONDES.

on y trouvait l’Hermaphrodite, le Faune portant un enfant dans ses bras, le jeune Papirius trompant sa mère, le Gladiateur expirant, la famille entière de Niobé, Niobé elle-même, le groupe de Mars et de Vénus[1] ; c’était une succession de beautés que l’art avec orgueil opposait à la nature, ou plutôt c’était l’union de la nature et de l’art confondant leurs prodiges pour enivrer l’homme de bonheur et de volupté. Salluste avait besoin de ces émotions et de ce luxe ; son imagination et son style s’en coloraient ardemment ; la richesse lui semblait une dépendance convenable du génie, et ce démocrate avait naturellement les goûts d’un roi.

C’est dans cette retraite à laquelle il joignit encore la maison de plaisance construite par César à Tibur, que Salluste écrivit l’histoire de Jugurtha. Un théâtre nouveau à décrire et à peindre, une guerre considérable traversée d’aventures singulières, la barbarie et la finesse africaines aux prises avec le caractère romain, promettaient à l’écrivain de vifs plaisirs et de grandes beautés. Mais il y avait encore pour Salluste un autre motif ; il écrit, dit-il, la guerre de Jugurtha, non-seulement parce qu’elle fut magnum et atrox, mais encore parce qu’avec elle commencèrent les luttes qui renversèrent la puissance aristocratique, dein quia tum primum superbiœ nobilitatis obviam itum est. Il aura effectivement à encadrer dans son récit la grande figure de Marius : il passera de l’Afrique à la place publique de Rome, et de Rome à Zama. Salluste est toujours animé des mêmes pensées politiques ; c’est toujours l’homme du parti démocratique ; mais dix ans d’intervalle entre son Jugurtha et son Catilina l’ont encore rendu plus calme et plus grave. Dévoué à la cause populaire, il n’en dissimule pas les fautes ; il traite sévèrement la noblesse, mais il reproche aux Gracches d’avoir manqué quelquefois de modération : Et jam Gracchis, cupidine victoriœ, haud satis moderatus animus fuit. Il blâme le peuple de s’être laissé corrompre et enfler par ses prospérités comme l’aristocratie elle-même : Ut sœpè nobilitatem, sic ea tempestate plebem ex secundis rebus insolentia ceperat. Il ne rabat rien de la grandeur de Sylla ; il nous

  1. Ces chefs-d’œuvre prirent place successivement dans les jardins de Salluste.