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ger son ami ; il prononça contre Milon une invective furieuse ; le peuple, qu’exaspérait la vue du cadavre de Clodius qu’on avait étalé sur la tribune, enleva ce cadavre, le transporta dans la curie Hostilienne où le sénat s’assemblait, et fit de ce palais et de la basilique Porcia qui le touchait un vaste bûcher pour son Clodius qu’il regrettait. Ce détestable emportement, qui surpassait le meurtre commis sur la route de Lanuvium, rendit à Milon son courage : il continua de briguer le consulat et se mit en devoir de soutenir vigoureusement le procès criminel. Les entre-rois se succédaient, et la république n’avait pas encore ses magistrats ordinaires : Pompée songeait à la dictature ; César absent était proposé par ses amis au consulat. Salluste tint une conduite fort habile ; quand il eut reconnu que l’élection de César n’était pas certaine, il se rapprocha de Pompée, et donna l’appui de son parti à la motion de Bibulus qui avait ouvert l’avis dans le sénat de nommer Pompée seul consul. Par cette manœuvre, Salluste se conciliait, en le compromettant, Pompée séparé de Cicéron qu’il n’aimait plus, et de Milon qu’il devait laisser condamner. Le procès criminel fut la principale affaire de ce consulat ; Salluste, poursuivant avec ardeur la perte de Milon, fut outré de voir Cicéron embrasser sa défense : dès lors ces deux hommes entrèrent l’un contre l’autre dans une inimitié implacable, et s’envoyèrent les plus déchirantes injures. Cicéron au surplus défendit mal son client, il se troubla ; Milon, condamné à l’exil par trente-huit voix contre treize, se rendit à Marseille. Après sa retraite, son parti reprit le dessus ; Rufus, Munatius et Sextus, secrétaire de Claudius, furent condamnés pour l’incendie du palais Hostilien. Salluste fut atteint quelque temps après. Appius Pulcher et Pison, censeurs, faisant l’appel des sénateurs, lui reprochèrent la licence de ses passions et l’exclurent du sénat. Les aventures galantes de Salluste n’étaient ici qu’un prétexte, et la censure n’était plus qu’un instrument de vengeance politique.

Salluste reçut avec un froid dédain l’injure que lui faisaient les censeurs, et sans se tourmenter davantage, il se tourna vers l’histoire. Il était prêt : il tenait à sa disposition les lettres grecques et l’intelligence de Thucydide, le secret de l’idiome romain dans ses plus vieilles originalités, la connaissance de la république, de ses vicissitudes et de sa constitution. Le tribunat l’avait jeté au milieu