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LA BELLA MALCASADA.

même de questions à cet entrelien où j’étais pourtant si profondément intéressé. Aussi rentrai-je de la promenade plein de confiance dans le bon témoignage que n’aurait pas dû manquer de rendre pour moi à dona Josefa le lutin chargé de m’observer, et j’achevai de me tranquilliser en lisant le billet suivant que je trouvai sur mon lit :


« Je ne sais, mon ami, me disait dona Josefa, si ç’a été pour toi une bien grande joie de contempler un instant au grand jour, en public, le visage de celle qui, en secret, a tant de fois, tant de nuits, appartenu tout entière à tes regards. Mais ce n’est là peut-être que le tort d’un amour excessif. Tu auras eu un violent désir de me revoir, et tu n’auras pas regardé aux moyens de le satisfaire. Je n’ai donc pas la force de t’en vouloir beaucoup. J’espère aussi que ceux auxquels tu as confié nos secrets sont, comme ton frère, des amis sûrs et incapables de nous perdre. — Je ne vous pardonne cependant pas encore, don Andres ; mais, voyez l’excès de ma faiblesse, je vous permets de venir dans quatre jours solliciter vous-même votre absolution. »


La comtesse ne m’avait point demandé d’ailleurs de réponse à son billet. C’était me dire qu’il eût été imprudent et inutile d’en faire une. Il m’en coûta d’attendre ces quatre jours, sans commencer d’avance par écrit mon apologie ; aussi me furent-ils bien longs !

Ils s’écoulèrent pourtant, et le soir du dernier, je me retrouvai enfin aux pieds de dona Josefa. Ma grâce fut vite obtenue. À peine reçus-je quelques tendres reproches ; et ne me laissant pas seulement le loisir de plaider ma défense, elle se jeta à mon cou et me ferma la bouche avec ses baisers.

Puis elle voulut que nous soupassions ensemble, ce qui ne nous était pas encore arrivé. Sa joie fut plus folle et sa passion plus ardente qu’elles ne l’avaient jamais été en aucun de nos rendez-vous. Jamais je ne m’étais senti si heureux ; jamais je ne m’étais cru tant aimé.

Comme, après notre souper, nous nous levions de table, m’ayant pris le bras, la comtesse s’en voulut entourer la taille, mais la large garde de mon épée se trouvant entre nous et empêchant son étreinte :

— Mon beau chevalier, me dit-elle, est-ce que vous avez si peur de mes caresses, qu’il vous faille contre elles cette terrible lame ? Ne pourra-t-on vous embrasser cette nuit qu’armé ainsi de pied en cap ?

Et me laissant d’un air boudeur, elle s’en fut au bout de la chambre s’accouder sur le dossier d’une chaise.

Moi, tout en m’excusant de mon oubli, dont j’attribuais la cause aux préoccupations de mon bonheur, j’avais cependant quitté mon manteau