Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 2.djvu/577

Cette page a été validée par deux contributeurs.
571
LA BELLA MALCASADA.

moins farouche. La lionne s’était apprivoisée. Je connus ce qu’était le sourire de ce regard ardent et fauve, ce qu’étaient les caresses de ce violent amour ! Oh ! sa grâce était plus puissante encore que sa force. Roulée autour de moi, échevelée, l’œil humide et suppliant, elle m’avait chargé de plus de chaînes qu’à ce moment où, debout, me tenant sous ses pieds, elle avait si despotiquement pris possession de mon âme.

À cette seconde nuit, il en succéda de loin à loin plusieurs autres ; leurs intervalles étaient remplis par une correspondance assidue dont le vieil écuyer continua d’être, quant à mes lettres, le seul intermédiaire, comme il était aussi le guide unique de mes voyages nocturnes dans la chaise à porteurs.

Cependant ces occupations de mon amour avaient tellement absorbé ma vie, qu’elles ne m’en laissaient plus pour nul autre soin. C’était devenu une rareté de me voir aux théâtres ou aux promenades. J’avais déserté mes plus chères amitiés. Les jours, je les passais cloîtré en ma chambre, composant pour ma maîtresse de longues épîtres que je m’en allais confier les soirs à notre discret messager, ou relisanl celles que j’avais trouvées miraculeusement sur mon lit, à mon réveil. Cette profonde retraite, si différente de mes anciennes dissipations, surprenait à bon droit mon frère, mais elle n’était pas son plus grand étonnement. Où employais-je toutes ces nuits d’absence hors du logis, durant lesquelles on ne m’apercevait plus jamais en ces tripots et ces lieux de plaisir que je fréquentais jadis si assidûment ? Il m’avait nombre de fois interrogé là-dessus, et toujours par mille faux-fuyans j’avais éludé sa curiosité. Mais un matin que je rentrais pâle, en désordre, et les fatigues de l’insonmie écrites apparemment sur mon visage en d’inquiétans caractères, il me pressa de questions si vivement et avec des marques d’affection si touchantes, que, tout honteux déjà de lui avoir si long-temps caché quelque chose de mes actions, moi qui, dès mon enfance, m’étais accoutumé à lui tout dire, ne résistant plus à ses instances, sûr d’ailleurs de lui comme de moi-même, je déchargeai mon cœur de ses secrets dans le sien, où je ne doutais pas qu’ils ne demeurassent profondément ensevelis.

Mon frère, homme de bon et prudent conseil, sans me trop gronder d’un attachement dont les séductions avaient été si grandes, me donna pourtant de sages avertissemens, et m’engagea fort à rompre une liaison qui lui semblait entourée de trop de mystères pour qu’elle pût être innocente et sans conséquences fâcheuses.

Nous avions eu cet entretien assis l’un près de l’autre en ma chambre, portes et fenêtres fermées. Qui pouvait nous avoir entendus, si ce n’est Dieu et nos anges gardiens ?