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moment la porte se rouvrit, et la duègne accourut toute troublée avec son flambeau qu’elle posa sur une table.

Moi, j’étais demeuré agenouillé, ébloui et en extase aux pieds de ma dame, dont la lumière venait enfin de me révéler l’incomparable visage. Si critique que se fît la circonstance, je n’avais, je le jure, de regards et de pensée que pour l’admiration de sa céleste beauté. Vingt épées m’eussent entouré alors et eussent eu le loisir de me clouer au parquet, avant que j’eusse songé à tirer la mienne pour écarter de mon cœur une seule de leurs pointes !

— Quel est ce bruit, Dominga ? dit la dame, d’une voix dont elle s’efforçait de réprimer le trouble.

— Hélas ! dona Josefa, répondit la duègne joignant les mains, à moins que Notre Dame del Carmen ne nous soit en aide, nous sommes tous perdus ! À cette heure de la nuit, qui peut frapper ainsi en maître, si ce n’est le comte ?

— C’est vous, folle, qui nous perdrez avec vos sottes frayeurs ! s’écria la comtesse. (C’était bien une comtesse, la chose était évidente.) Que parlez-vous de comte, et que voulez-vous dire ? Je vais m’informer de ce qui se passe ; vous, emmenez don Andres en ma chambre et cachez-le dans le cabinet près de l’alcove.

Puis s’adressant à moi :

— Et vous, que faites-vous, don Andres, prosterné ainsi qu’à la messe ? Avez-vous peur aussi comme une vieille femme ? Voyons, soyez homme, relevez-vous et allez avec Dominga.

Arraché par la rudesse de cette apostrophe à mon extatique contemplation, je suivis la duègne à travers de somptueux appartemens jusqu’à une pièce étroite et obscure où elle m’enferma.

Avant d’y être replongé, j’avais vu clair au moins un instant dans les ténèbres de cette étrange nuit. Mais qu’allait-il advenir de cette alerte qui nous avait si brusquement interrompus au milieu de nos amoureuses plaidoiries ? Oh ! je ne m’en souciais vraiment guère. Si j’avais vaguement une crainte, c’était celle de perdre l’espérance de ce bonheur qui venait de me luire. Mais je m’y arrêtais à peine. Toutes mes préoccupations s’absorbaient dans la pensée de cette belle et vaillante femme, à l’œil perçant et enflammé, au geste impérieux et violent ! Quelle puissance de commandement avaient donc ses charmes ! C’était comme si elle m’avait ordonné de l’aimer ; et j’avais obéi tout d’abord ! et je l’aimais ! et je sentais qu’elle avait irrévocablement fait de moi son esclave !

Au bout d’une heure peut-être, ce fut elle-même, elle seule, qui accourut me délivrer de ma captivité.