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vais aussi corrigé la grossièreté de mon inconduite et remis quelque équilibre aux actions de ma vie. En un mot, partout, en public, aux assemblées, de même que seul et enfermé en mon logis, un invincible mouvement me forçait d’agir comme si j’eusse su être épié et observé, comme si j’eusse senti attaché sur moi un regard intéressé.

Or, tandis que j’étais au milieu de cette grande ferveur d’amendement, un jour, ayant achevé de dîner, je me jetai sur mon lit afin de dormir la sieste. Mais je venais à peine de m’assoupir lorsque je fus soudain éveillé par le retentissement d’un coup violent frappé à mon chevet. Je me levai tout troublé. Je regardai autour de moi ; je visitai jusqu’au dernier recoin de ma chambre. Je ne vis rien. M’imaginant avoir rêvé ce bruit, j’allais me recoucher, quand j’aperçus au pied de mon lit un billet cacheté roulé autour d’une petite pierre. Je supposai qu’il avait pu être lancé chez moi de la rue par une de mes croisées ouvertes, bien que leurs jalousies et leurs grillages serrés eussent dû rendre la chose peu facile. Sans m’inquiéter pourtant de cette difficulté, j’ouvris précipitamment la lettre qui était ainsi conçue :

« Vous aurez pensé, mon ami, que je m’étais jouée de vous, car je ne suis point venue à notre rendez-vous : j’ai failli à ma parole. Si j’ai eu ce tort, ne me le reprochez pas trop ; j’en mérite bien un peu le pardon. Qui risque beaucoup, voyez-vous, a besoin de beaucoup réfléchir avant de se décider, et ne saurait se rassurer assez contre les périls de son imprudence. Voici un mois que je m’efforce de combattre et de vaincre ma passion. Mais c’est elle, au contraire, qui est victorieuse en cette lutte mortelle où doit être tué mon honneur. Si je vous le sacrifie, c’est que je compte sans mesure sur le vôtre. Oui, votre prompte réforme m’est un sûr garant de votre discrétion. Celui qui a montré tant de docilité à mes avis, ne paiera pas d’ingratitude mon amour. Je n’ai point, don Andres, le loisir de vous en écrire davantage ; mais, ce soir, une chaise à porteurs vous attendra sous les arcades de San Pablo. Vous pourrez, sans inquiétude, vous laisser conduire par les gens qui la mèneront. »

Quel était le but de ce mystérieux billet ! Qui l’avait écrit ? Qui l’avait apporté ? L’aventure ne se renouait ni moins étrange ni plus intelligible. Quel parti prendrais-je ?… J’avoue que je balançai avant de me déterminer. Voudrait-on s’amuser de moi seulement plus long-temps ? pensai-je, ou bien est-ce que, sous l’appât de ce rendez-vous, est caché le piège de quelque vengeance ? Y aurait-il des dagues dans l’ombre de cette intrigue ?… Bah ! m’écriai-je, portant la main à la poignée de mon épée, est-ce que ma lame est moins longue d’une ligne que celle d’aucun brave de Valladolid ? Par le seigneur saint Joseph ! quand on a dégainé mille fois