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bien aimée de vous, expliquez-moi, je vous prie, comment vous trouveriez du temps à donner à son service, vous qui consumez la meilleure partie du jour dans les soins efféminés de vos parures et de votre personne. Je vous admire vraiment à vous voir chaque matin de longues heures en adoration devant votre miroir, vous sourire gracieusement à vous-même, essayer tour à tour mille vêtemens, boucler votre chevelure, friser votre moustache, vous baigner tout entier d’huiles et d’essences. Mais ne rougissez-vous pas de ces affectations ? Poussées à l’excès où vous les menez, elles seraient blâmables même en une femme. Combien ne sont-elles pas plus indignes d’un homme, et d’un homme de votre profession surtout ! Hélas ! elles me donnent des raisons sérieuses de craindre que celui qui se traite avec tant de prédilection et de complaisance, et a tant d’amour pour lui-même, ne soit guère capable d’en ressentir un bien grand pour sa maîtresse. Je vous le confesse donc sincèrement, don Andres ; oui, je résiste encore au vif penchant qui m’attire vers vous, mais seulement parce que vos autres imperfections me font douter de votre discrétion et de votre constance. Suivez mes conseils pourtant. Amendez-vous ; mon bonheur est tout entier dans vos mains, et il dépend de vous de l’assurer, car vous voyez bien que je me meurs du désir de m’oublier moi-même et de me sacrifier à vous ; mais, au nom de la très sainte Vierge, réformez-vous, mon ami ; fournissez-moi des raisons capables, sinon de justifier, au moins d’excuser ma faiblesse, si toutefois il peut y avoir des excuses aux faiblesses d’une femme de ma sorte.

Elle s’était tue, et moi je demeurais muet et pétrifié. J’étais cependant moins troublé encore de la singularité de l’aventure, que des inexplicables révélations au moyen desquelles cette inconnue avait ainsi pénétré le secret de mes actions les plus intimes et les plus cachées. Mais cette femme n’était-elle pas le diable lui-même ? et rien qu’à cette pensée je fis vingt signes de croix. Dans tout ce qu’elle m’avait dit, il n’y avait pas un mot qui ne fut exactement vrai. C’était ma vie qu’elle venait de me conter. Il y avait de quoi en perdre la tête. Je me remis néanmoins peu à peu, et je retrouvai avec la parole quelque présence d’esprit. Maudissant intérieurement de grand cœur le traître qui m’avait si bien dénoncé, je confessai de bonne grâce l’énormité de mes défauts et promis de m’en corriger. Je tins à la dame mille propos galans qui furent tous les bien-venus et payés en même monnaie. Devisant ainsi, je lui servis d’écuyer le reste de la soirée, continuant de marcher à la portière de son carrosse, sans parvenir d’ailleurs à voir de sa personne autre chose que l’une de ses petites mains blanches, ni à percer le moins du monde le mystère des confidences perfides qui m’avaient livré à sa merci. J’avais même,