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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

lesque, il a été naturellement amené à rechercher, sans sortir du cercle habituel de ses études, les qualités jusqu’ici peu développées dans sa manière, qui pouvaient surprendre et dominer l’attention ; c’est ainsi que je m’explique l’accent singulier qu’il a donné à son dessin.

La couleur générale du tableau est terne, mate et peu séduisante ; aussi les portions bleues et rouges qui s’y trouvent sont-elles au premier aspect criardes et dures. Non-seulement nous pensons qu’il y a parmi les maîtres espagnols et flamands plus d’un coloriste supérieur à Raphaël, et c’est pourquoi nous ne conseillerons à personne d’étudier Raphaël avec le dessein de reproduire sa couleur, mais encore nous croyons que M. Ingres est loin cette fois d’avoir atteint l’harmonie générale, qui ne manque jamais au peintre des Loges.

Ce qu’il faut étudier dans ce maître célèbre, ce qui doit faire l’éternelle admiration de la postérité la plus reculée, ce qui doit exciter sans relâche l’émulation et la verve des jeunes artistes, c’est la beauté linéaire, c’est la divinité des contours. Or ces mérites élevés se retrouvent-ils dans le Martyre de Symphorien ? Si l’on excepte l’acteur principal et un enfant placé à gauche, mais qui rappelle trop distinctement plusieurs figures du maître, n’y a-t-il pas dans le dessin de la plupart des personnages une exagération, une vigueur emphatique, qui tiennent quelque peu de Michel-Ange et du Dominiquin ? Le licteur, vu de dos, est d’une musculature beaucoup trop détaillée ; les jambes, en particulier, sont d’une anatomie tellement officielle, que la statuaire oserait à peine se hasarder dans de pareilles révélations. Pour le licteur placé à droite, son énergie musculaire semble défier les hardiesses les plus singulières de Rubens ; mais ce qui est acceptable avec une couleur éclatante et vraie étonne sans charmer dans la gamme alternativement grise ou jaune que M. Ingres a choisie. La forme abstraite, la forme sans la couleur a besoin d’être harmonieuse et pure ; or le licteur placé à droite ne satisfait pas à ces conditions.

Est-ce à dire pourtant qu’il n’y a pas dans cette composition plusieurs figures d’un mérite remarquable ? Non sans doute. Le martyr lui-même est un morceau très élevé. Il y a dans le visage du saint un divin enthousiasme ; il y a plus que la résignation et le