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LE SOUPER CHEZ LE COMMANDEUR.
Don Rafaël.

Dans le ciel. Oui. Déjà la nuit se fait moins brune.
Je pars, car le chemin est long, frères, d’ici
À Tolède. Adieu donc et bon espoir.

Le Commandeur.

À Tolède. Adieu donc et bon espoir. Merci.
Seigneurs, j’irai vous voir à la prochaine lune.

(Le commandeur accompagne ses aïeux. Anna et don Juan restent seuls.)

Anna.

Don Juan ! don Juan ! une prière !

Don Juan.

Toujours cette parole.

Anna.

Tu l’entendras dix mille ans encore si tu me laisses au purgatoire !

Don Juan.

Tu fais comme les pauvres de Burgos, ils finissaient toujours par emporter ma bourse ; pour peu que cela dure, je vais te jeter mon ame à la face.

Anna.

Ce n’est pas ton ame que je te demande, mais une de tes larmes ; ce n’est pas ta bourse que je veux, mais une des pièces d’or qu’elle renferme.

Don Juan.

Je n’ai pas de prières à te donner, laisse-moi vivre en paix.

Anna.

Que ne m’as-tu laissé mourir de même ?

Don Juan.

Voyons, Anna, plus de rancune, viens ici, près de moi, causons. Comme tes cheveux sont plus noirs depuis que ta chair est de marbre ! comme la Mort t’a faite belle, Anna, sais-tu bien qu’il n’est pas dans toutes les Espagnes de duègne plus habile à vêtir une jeune fille ! Comme elle a bien peigné tes cheveux ! la Mort,