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LE SOUPER CHEZ LE COMMANDEUR.

loppent de leurs capes de marbre et vont répandre la nouvelle ; et tant que le beffroi des cathédrales annonce aux vivans qu’un Palenjuez est mort, les envoyés de pierre visitent dans leurs tombes leurs ancêtres et leurs neveux. Si c’est un pape ou bien un archevêque que l’on canonise, les statues cheminent par douze, et les anges du baptistère portent une croix de marbre devant la procession ; si c’est un guerrier, elles voyagent par six en cavalcade ; si c’est une jeune fille, elles vont au nombre de trois. Chaque fois qu’on s’arrête auprès d’un monument, celui qui jadis accomplit sur la terre la plus haute fonction, s’avance le premier, frappe à la porte, et quand le maître vient ouvrir, l’aborde au nom de Jésus-Christ ou de la Vierge, selon qu’il lui doit annoncer la mort d’un homme ou d’une femme. Sire commandeur, levez-vous, que je vous embrasse au nom de Marie, mère du Sauveur, et de sainte Anne, patrone de votre fille qui vient de mourir.

Le Commandeur.

Anna ! ma fille morte !

Le conétable Bernardo.

Voilà ce que l’ange de Dieu m’a dit à l’oreille.

Le Commandeur.

Morte ! morte !

Le docteur Onufro.

Voilà ce qui était écrit sur la feuille ajoutée à mon livre.

Le Commandeur.

Mon Dieu, je te rends grâces de l’avoir enlevée au monde pour la rendre à son père. Anna, ma belle enfant, l’autre nuit, quand je te disais : Ne pleure pas, je savais bien, moi, que le Seigneur nous réunirait bientôt. Hélas ! mon Dieu, que de larmes j’aurais versées autrefois pour cette mort qui me fait tant de joie aujourd’hui ! Comme dans ta maison les douleurs de la terre se changent en béatitudes. Les insensés ! ils tendent la galerie en noir et voilent notre écusson, comme si nous étions en deuil ; oh ! des couronnes de fleurs, alléluia ! ma fille va renaître. Viens, Anna, viens, je te tends les bras comme le jour où tu sortis du ventre de ta mère, et ce qu’ils appellent une tombe, est ton second berceau. N’est-ce pas, mes nobles aïeux, qu’on pourra bien élever sa statue auprès