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transfigure et nous fait de pierre et de granit. Aussi le jour du jugement nous paraîtrons devant le vieux Père la tête haute et le corps blasonné, tandis que vous, pauvres éclopés, vous n’oserez sortir de votre fosse de peur de nos éclats de rire. La belle vie que celle des statues ! Il est vrai que de l’aube au lever du soleil elles se tiennent immobiles, et que c’est une bien triste chose que de poser ainsi douze heures pour les femmes et les écoliers qui passent sur la route. Oui ; mais avec la nuit reviennent les promenades et les concerts et les rendez-vous au clair de lune. Certes, je n’aurais plus grand mérite à mourir pour une noble cause à présent que je sais que les morts mènent si joyeuse vie. (Il remplit son verre et boit.) Quoi qu’il en soit, à la santé de la belle aventurière qui vient ainsi livrer son corps fragile aux étreintes d’un cavalier de marbre !

(On frappe de nouveau ; le commandeur se lève et va ouvrir. Entre le connétable, don Bernardo Palenjuez.)
Le Commandeur.

Salut, don Bernardo Palenjuez, mon oncle de la cathédrale de Burgos ; j’étais loin de vous attendre à cette heure ; mais, puisque vous voilà, soyez le bien-venu dans ma tombe comme vous l’étiez autrefois dans la maison de mon père.

Le connétable don Bernardo.

C’est un mauvais signe quand les statues descendent de leur piédestal et viennent fouler la terre des vivans. J’étais immobile dans ma niche de granit, aspirant de toute ma poitrine les dernières vapeurs des orgues et des encensoirs ; déjà la lune touchait aux plus hautes régions du ciel, et les saints des vitraux reposaient silencieusement après avoir vêtu leur chape blanche de la nuit ; tout à coup la porte s’est ouverte, un archange est entré dans l’église, et m’a parlé long-temps à l’oreille ; puis, s’envolant, il m’a dit : Porte cette nouvelle au commandeur, car il faut que je m’en retourne vers Dieu. Et moi je suis venu, sans prendre garde au brouillard qui tombe humide et froid, surtout pour ceux qu’une cathédrale abrite d’ordinaire sous les plis de son manteau. Mais quand je suis arrivé, vous étiez à vous entretenir avec cet homme ; continuez, je vous en prie ; en attendant que vous ayez fini, je vais m’asseoir et réciter quelques prières. Ah ! j’oubliais, écoutez encore cette aven-