Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 2.djvu/506

Cette page a été validée par deux contributeurs.
500
REVUE DES DEUX MONDES.

merci, n’est que de chair et d’os. Mais le grand air de la campagne aura bientôt dissipé tout cela. (Il se lève.) Bonsoir.

Le Commandeur, le retenant.

Pourquoi déjà te retirer ? Attends encore.

Don Juan.

En arrivant, j’ai attaché mon cheval à la croix d’une tombe ; écoute ce hennissement, il faut que j’aille le rejoindre ; mon beau cheval, si tu l’avais vu ce soir, ses pieds touchaient à peine le sol, sa crinière flottait, et ses yeux, comme deux lampes, éclairaient la route à dix pas en avant. Lorsque je suis descendu, de grosses larmes ruisselaient sur son corps, et je crains pour lui la fraîcheur de l’aube.

Le Commandeur.

Ton cheval a le mien pour lui tenir compagnie, et d’ailleurs il s’agit bien de ton cheval à cette heure. Tu veux partir, don Juan, mais en quel endroit de la terre es-tu donc attendu pour te hâter ainsi ? Où donc est la femme qui prie à genoux sa patrone de te préserver des piéges et des maléfices ? où donc la jeune fille qui prépare grand feu pour essuyer tes vêtemens humides ? La maison du commandeur est déserte, Elvire est au couvent, ton palais tombe en ruines, les pieds de la statue l’ont ébranlé. La porte de Burgos est fermée, et si tu pars à cette heure, il te faudra courir les champs jusqu’au matin ; de plus, le sentier de traverse est mauvais d’ici à la grande route ; et si ton cheval vient à s’abattre, resteras-tu, par la nuit froide et morne, à grelotter comme un mendiant, ou bien t’en iras-tu frapper à la porte de Zerline en lui disant : Ouvrez, je suis don Juan ? Ah ! mon pauvre convive, autant vaut que tu restes à causer avec moi. Tout n’est pas fini, don Juan.

Don Juan.

Que veux-tu dire ? est-ce que par hasard tes danseuses et tes chanteurs vont revenir ? et moi qui les croyais tous endormis ! Pardieu ! mon hôte, je vois maintenant que tu sais ordonner une fête : d’abord les groupes joyeux et la musique, ensuite le souper, et l’orgie à la fin. Bravo, commandeur, le crescendo me plaît, et c’est ainsi que j’aime les symphonies. Viennent donc tes belles servantes avec des fleurs nouvelles à la tête, viennent les hommes